29 décembre 2006

Du TPS au TPD : l’autre arme redoutable de Toyota

L’exemple vient une fois encore de Toyota
Le TPS (Toyota Production System), vous en avez entendu parlé comme étant l’arme redoutable de Toyota qui lui permet aujourd’hui d’avoir une capitalisation boursière (177 milliards de dollars) supérieure à celle de GM, Ford et DCX cumulée (égale à 13 fois celle de GM). Et maintenant, vous vous demandez qu’est-ce donc le TPD. Le TPD ou le Toyota’s Product Development (sujet que j’ai abordé dans mon précédent post) est en réalité la véritable arme méconnue de Toyota. Selon les experts, seuls Ford, GM, DCX et Nissan (et donc bientôt Renault) ont véritablement pris conscience de la part centrale de ce sujet et engagé des actions concrètes dans ce domaine. Tous les succès de Toyota (y compris son profit record de près de 11 milliards de dollars en 2005) ne sont pas dus uniquement au TPS mais surtout à la puissance de ses équipes de R&D qui sont capables de sortir une voiture en 15 mois. Certains modèles comme la Corolla sont développés en 12 mois. Le record tous modèles confondus est de 10 mois. Dans le même temps, les concurrents de Toyota ont des temps de développement dont les moyennes oscillent laborieusement entre 24 et 30 mois ! Quand on est capable de sortir une voiture en 15 mois on peut mettre sur le marché beaucoup plus de produits. Par exemple, depuis 1990, Toyota à doublé le nombre de modèles mis sur le marché en Amérique du Nord. Plus de produits, plus souvent, signifie une meilleure couverture du marché. Il s’agit d’un point très important. Pour l’illustrer, je reprendrais le contre-exemple de Ford qui après avoir inventé le SUV délaisse sa valeur sûre, la Taurus, pour se concentrer sur ce produit qui a beaucoup de succès et fait gagner beaucoup d’argent. Distrait par ce succès, Ford est passé très près du dépôt de bilan, quand ses concurrents l'ont rejoint sur le créneau, alors juteux, des SUV (voir The End of Detroit par Micheline Maynard). Contrairement à ce qu’à fait Ford avec la Taurus, Toyota peut continuer à développer les valeurs sûres comme les Corolla et les Camry et sortir en même temps de nouveaux modèles à succès tels que la Prius (voire créer complètement une nouvelle marque telle que Scion destinée aux jeunes) à ressource quasi constante.

Dis-moi quel est l’âge moyen de tes modèles et je te dirai quelle est ta part de marché
Il existe une corrélation frappante entre l’âge moyen des véhicules et la part de marché d’un constructeur : « le produit nouveau attire toujours ». L’âge moyen des véhicules de Toyota est de 1,2 an contre 3 ans en moyenne pour se concurrents. Toutefois, il ne suffit pas de sortir des produits nouveaux pour gagner des parts de marché. Il faut aussi que ces produits soient de bonne qualité et là aussi, Toyota est présent! Par exemple, en 2005, le constructeur nippon a positionné 10 de ses nouveaux véhicules à la première place (étude IQS de JD Powers, Amérique du Nord) dans les 16 catégories possibles ! Au passage, il existe des études sérieuses qui établissent une corrélation entre le niveau de qualité des produits et la capitalisation boursière. Là encore, pas étonnant que Toyota ait la capitalisation boursière la plus importante des constructeurs, comme nous l'avons vu précédemment.

A ce niveau, résumons-nous : Toyota a le temps de développement le plus court (15 mois), l’âge moyen de véhicule le plus faible (1,2 an), a doublé son offre depuis 1990 en Amérique du nord, a les produits de meilleure qualité (10 premières places dans les 16 catégories possibles en Amérique du nord). Autre info : tout cela ne lui coûte pas plus cher que ses concurrents car Toyota possède le coût de développement le plus bas !

Et alors ...
Si vous aviez besoin de chiffres pour vous convaincre de vous focaliser sur votre Product development, les voilà. Sans reprendre les arguments donnés dans mon précédents post, il est clair que « le gap n’est plus dans l’usine », il est aujourd’hui dans la le Product development, quelque soit votre secteur, et ce gap est énorme. Selon certains experts, il serait de l’ordre d’un facteur 10 ! Au moment où de plus en plus d’entreprises outsourcent leur production et se concentrent sur la conception et le développement des produits, le Product development est manifestement l’élément stratégique différentiant des dix prochaines années. Mes prochains posts porteront sur le sujet. La référence intournable dans le domaine est le livre Jeff Liker et Jim Morgan : The Toyota Product Development System.

11 décembre 2006

Le système lean et ses sous-systèmes

Dans ce post je voudrais revenir sur le système lean et ses différents sous-systèmes. Le but d’une entreprise est de gagner de l’argent en apportant de la valeur à ses clients. Cette valeur peut être apportée sous forme d’un produit ou d’un service. Le cycle de vie du produit ou du service ainsi apporté au client comprend trois phases : la conception, la fabrication et l’utilisation. Chacune de ces phases est constituée d’une succession de tâches accomplies l’une après l’autre. Dans les phases conception et utilisation, les choses se passent donc exactement comme dans une usine : une succession de d’opérations ou de tâches. Dans ces trois phases le lean est donc applicable. Son application peut se faire sous des formes différentes mais les principes mis en œuvre sont toujours les mêmes. Il s’agit, en général, d’éviter (dans la phase conception) ou de supprimer (dans la phase production et utilisation) des gaspillages, de résoudre des problèmes qui peuvent subvenir et mettre en œuvre le travail standard ou automatiser certaines phases répétitives (dans la phase conception). Résumons nous : il s’agit identifier les gaspillages, utiliser sa capacité à résoudre les problèmes pour les supprimer et mettre en œuvre le travail standard partout où cela est possible.




Comme je l’ai dis dans un de mes précédents posts beaucoup d’entreprises se focalisent sur la mise en œuvre du lean dans la phase fabrication du produit. Selon les experts, corroborés par des analyses que j’ai faites sur la base du dernier rapport Harbour, la proportion des gains potentiels liée à la fabrication est d’environ de 20% seulement. Le bilan aujourd’hui peut se résumer de manière suivante : le maximum d’effort (80%) et concentré dans un endroit où le potentiel de gain est minimum (20%). De plus, comme le montre les rapports Harbour de ces dernières années, il y a de moins en moins d’écart entre les constructeurs d’automobiles en ce qui concerne la fabrication. Je pense que les écarts se resserrent également dans d’autres secteurs d’activité. Selon les experts, les principaux sous systèmes à fort potentiel sont : la partie conception et le développement des hommes. Les quelques benchmarks réalisés dans le domaine de la conception montrent des écarts très importants entre les entreprises qui ont un développement de produit lean et les autres. Certes, il faut commencer par le lean en fabrication car c’est là que la mise en œuvre du lean est ses résultats sont les plus visibles. L’usine est un excellent terrain pour la formation et le développement des hommes. Toutefois, il faut s’intéresser rapidement à la partie conception si l’on veut véritablement engranger les gains les plus importants. La partie management (le leadership) est un sous-système très important du système lean. La contribution de l’homme dans le lean n’est plus à démontrer. Selon les experts du lean, le lean managment est le deuxième sous-système à fort potentiel. Le schéma ci-dessus présente l’ensemble du système lean. J’y reviendrai dans mes prochains post.

26 novembre 2006

Deux conditions de réussite de toute démarche lean

Dans la série mes « courbes du lean » préférées, j’aimerais vous présenter une courbe qui traduit très bien les conditions de réussite du déploiement du lean. Cette courbe n’a rien d’original car il s’agit de la courbe en « J » bien connue en économie. Elle courbe permet de dégager deux conditions de réussite de la démarche lean : la patience qui implique une approche long terme et l’énergie ou l’effort engagé dans la démarche.



Soyez patient : prenez le temps nécessaire pour parcourir le chemin nécessaire!
La courbe en « J » montre que « les choses se gâtent avant de s’améliorer » et, par conséquent, sans patience, l’on ne pourra pas recueillir les fruits de la démarche.

Paradoxalement, la patience, est en général ce qui manque le plus aux champions du lean. L’euphorie de la découverte du lean et la perspective des gains importants poussent quelquefois les initiateurs du lean à tout vouloir, tout de suite. Aux amateurs de résultats précoces, je voudrais rappeler que cela fait plus de 50 ans que Toyota pratique sans répit le lean et quel que soit l’enthousiasme mis dans la démarche l’on ne peut pas se hisser au niveau de Toyota du jour au lendemain. De même, des entreprises comme GM s’y essaient, avec des résultats mitigés, depuis plus de 20 ans (depuis 1984, date de la création de NUMMI, la joint-venture avec Toyota). Cette volonté acharnée d’obtenir tout, tout de suite pousse quelque fois les promoteurs du lean vers deux types d’erreurs : la surcommunication qui non de terrain nécessaire pour faire avancer le déploiement du lean. C’est ici que se situe la connexion avec le point suivant : l’énergie ou l’effort engagé dans la démarche.

Ce n’est pas
en pissant dans la mer que vous augmenterez son niveau
Comme le montre la courbe en « J » il faut mettre dans la démarche l’effort nécessaire pour que le point bas descende le moins possible.


Vouloir tout, tout de suite amène les champions du lean à dilapider leurs efforts au lieu de les concentrer sur une poignée de projets et les réussir de manière à créer des « références » visuelles. Dilapider les efforts augmente les risques d'échec et de de décrédibilisation de la démarche.


J'en profite pour m'arrêter un instant sur la rhétorique habituelle concernant le changement de culture nécessaire au succès du lean. Beaucoup d’initiateurs cherchent à traiter différemment les aspects techniques et le changement de culture nécessaire à la pérennisation de la démarche. Les deux sont étroitement liés et arrivent dans un ordre bien précis. D’abord des résultats visibles du changement, puis le changement de culture (voir John Kotter dans Leading Change). Par conséquent, obtenir des résultats concrets accélérera le changement de culture et surtout pas l’inverse…

Il faut éviter de faire du superficiel car ce n’est pas en pissant dans la mer que vous augmenterez son niveau … Si en plus l’on surcommununique sur les minces résultats obtenus, la démarche perd toute crédibilité ! L’approche qui consiste à concentrer ses efforts sur un nombre réduits de projets afin de bien les réussir est la meilleure publicité que l’on puisse faire. De plus, cette manière de faire permet de se créer en même temps de la compétence interne car une fois de plus : c’est du « learning by doing ».

En guise de conclusion de ce post, je rappellerais une image que m’a donnée Jeff Liker, l’auteur du bestseller The Toyota Way, lors de notre dernière rencontre : « déployer le lean c’est comme élever un enfant, il ne faut pas trop pousser mais juste trouver le bon rythme… et être patient»

18 novembre 2006

Si vous voulez la qualité il faut y mettre le prix !

Comme beaucoup de personnes, vous avez très probablement été confronté à ce type de réflexion plusieurs fois dans la vie : « Si vous voulez la qualité il faut y mettre le prix ! » Le pire c’est quand cette réflexion vient du vendeur / fournisseur du produit / service de mauvaise qualité.

La non-qualité est devenue en soi un véritable business ! Je pense en particulier (et vous peut-être) aux hotlines des fournisseurs des services d’internet. Ces gens sont sensés nous fournir un service de qualité (un standard du type 6 sigma me semble être honorable) mais cela n’est pas toujours le cas. Alors qu’est-ce qui se passe ? Eh bien, ces entreprises mettent en place des hotlines surtaxées que vous devez appeler en cas de problème. Ces hotlines leur permettent de gagner beaucoup d’argent avec leur non-qualité. Cette prime à la non-qualité est quand même le comble du paradoxe ! Tout récemment, le gouvernement a commencé à prendre conscience du ridicule de la situation. Il a proposé des solutions qui, à mon humble avis, ne règlent rien. Il s’agirait de ne plus facturer le temps d’attente aux clients. Cette solution n’est pas simple à mettre en œuvre. Par exemple, le temps d’attente pendant lequel l’opérateur consulte votre dossier ou recherche la personne compétente pour résoudre votre problème, doit-il vous être facturé ou au fournisseur ? La véritable solution, à mon humble avis, est tout simplement de rendre gratuites toutes les hotlines. Cela amènera les fournisseurs d’accès à internet à traiter rapidement et de manière efficace leurs problèmes de qualité. A partir du moment où ils seront pénalisés et non récompensés par leur non-qualité, ils s’en occuperont vraiment. Cela s’applique dans certain pays comme les US où le niveau de concurrence du marché oblige les fournisseurs de services (ou les vendeurs de produits) à avoir plus le sens du client que chez nous. Alors, me diront certains, si le client n’applique pas les procédures d’installation et commet des erreurs, le coût de la communication devrait lui être facturé. Ma réponse est simple : le fournisseur doit aussi garantir la facilité d’utilisation des ses produits (plug-n-play) et s’il y a besoin de notice, que celle-ci soit accessible à ceux qui n’ont pas fait polytechnique ! Le service c’est un tout !

Pour rappel, Jim Womack et Dan Jones dans leur livre « Lean Solutions » précisent ce que tous les consommateurs attendent. Cela doit être le point de départ de tout service bien rempli. En tant que consommateur qu’est-ce que j’attends du fournisseur du service ou du produit?Je veux :- que mon problème soit résolu complètement
- qu’il ne me perde pas mon temps
- qu’il me donne exactement ce que je veux, quand je veux et où je veux
- qu’il me simplifie ma décision d’achat

Une fois de plus, comme dans bien d’autres domaines d’activité, les fournisseurs d’accès internet n’y sont pas encore !

Alors, comment fait-on pour fournir des services (produits) moins chers et de bonne qualité ?

En réalité, ceux qui pensent qu’un produit de qualité est forcément cher sont convaincus que la qualité n’est atteignable que si on engage une équipe de personnes pour inspecter le produit (service) après sa fabrication. Dans ce cas, les coûts des retouches et des rebuts sont explosent. Au final, la qualité, dans ces conditions, a effectivement un coût très élevé.

Alors comment fait-on ? C’est ici qu’intervient le lean. Et la réponse tien en un terme « built-in quality » qui dérive du deuxième pilier du Jidoka. Il s’agit simplement de garantir à chaque étape du process que la pièce (la tâche) qui est transmise au process suivant est 100% garantie de bonne qualité. La manière la plus simple et la moins couteuse est d’éviter la production de pièces (tâche) de mauvaise qualité, à l’instar des machines à tisser de Sakichi Toyoda. Cela est possible!

Pour le “prouver”, j’en viens à la 3ème de mes “courbes du lean” préférées. Il s’agit d’un graphique qui a quasiment vingt ans. Il est tiré du bestseller “The machine that changed the world”. Sur ce graphique les ordonnées représentent la productivité en HPV (Hour Per Vehicle = nombre d’heures par véhicule). En clair, plus c’est faible mieux c’est. En abscisse, est représenté le nombre de défauts pour 100 véhicules. Ici également, plus ce nombre est faible mieux c’est. Alors si la célèbre maxime « Si vous voulez la qualité il faut y mettre le prix ! » était vrai, la meilleure qualité serait associée à la moins bonne productivité. Ce graphe montre plutôt l’inverse ! Les usines qui délivrent de la meilleure qualité « J/J = usines japonaises au japon » ou « J /NA = usines japonaises en Amérique du Nord » sont également les plus productives. Vous avez aussi remarqué qu’elles sont japonaises, comme par hasard…
La prochaine fois qu’un vendeur ou un fournisseur justifiera la mauvaise qualité de ses produits et/ou de son service par ses petits prix vous aurez le droit de ne pas être d’accord … Et vous vous diriez peut être, « en voilà encore un qui gagnerait à appliquer le lean dans son business ! »



12 novembre 2006

La loi de Pareto revisitée : dans une liste de moins de 100 problèmes, la moitié est due à une seule et même cause

Dans la série de mes « courbes du lean » préférées je voudrais présenter la courbe de Pareto. Cette courbe repose sur le principe de Pareto qui est aussi connu sous le nom de la règle de 80-20. A l’origine de cette règle l’économiste italien Vilfredo Pareto qui avait constaté qu’en Italie « 80 % de la fortune était possédée par 20% de personnes. »



Je dois avouer que j’ai quelques fois eu maille à partir avec cette règle car elle est souvent utilisée de manière abusive par certains managers pour vous expliquer que vous n’avez besoin que de 20% de ressources nécessaires pour résoudre 80% de vos problèmes. Il s’agit là d’une interprétation erronée…

La règle de 80-20 est à la base de l’œuvre de
Joseph Juran, le « père » de la qualité. Son crédo :« In problem solving learn to separate the vital few from the trivial many. » En d’autres termes, dans la résolution des problèmes il faut savoir se focaliser sur les quelques problèmes les plus importants. L’enjeu ici est d’être capable d’identifier ces « vital few problems. » Le principe de Pareto, rebaptisé principe de Juran par certains, se traduit par le fait que :

  • En qualité : 80% de défauts sont causés par 20% de causes seulement

  • Dans les stocks : 80% du stock est constitué de 20% de types de pièces

  • S’agissant du temps d’écoulement : 80% des retards sont dus à 20% de pièces

Dans un atelier il y a beaucoup de problèmes et de tâches importantes auxquelles nous souhaiterions nous consacrer. Toutefois, il n’y en a qu’une poignée dont la résolution ait vraiment un impact. Ceux qui sont capables de les reconnaître et de s’y focaliser obtiendront des résultats spectaculaires rapidement.

Trouver cette cause unique …

Une autre réflexion : si 80% de problèmes sont dus à 20% de causes alors il est aussi vrai que 80% de ces 80% de problèmes sont dus à 20% de ces 20% des causes d’où la règle de 64-4. On peut conduire un raisonnement similaire à un niveau trois et aboutir à la règle de 0.8x0.8x0.8 = 51,8% de problèmes dus à 0.2x0.2x0.2 = 0,8% ≈ 1% de causes. En d’autres termes, dans une liste de 100 problèmes dans un atelier, la moitié des problèmes est due à une cause unique. Trouver cette cause et vous aurez fait le pas le plus important… Cela reste vrai pour une liste de moins de 100 problèmes car le nombre de causes est forcément un nombre entier et supérieur ou égalà 1.

Pour finir, je voudrais juste signaler que la loi de Pareto traduit aussi le fait que dans une démarche d’amélioration, les premiers progrès sont les plus faciles à obtenir (si bien sûr on est capable d’identifier et résoudre les « vital few problems »). Les derniers gains seront les plus difficiles à obtenir… Les consultants abusent quelque fois des cette réalité. Ils prennent les premiers gains (les plus faciles) pour eux et vous les facture au prix d’or puis vous laisse les plus difficiles après leur départ.

05 novembre 2006

Les courbes du lean : quel est le niveau de communication dans votre entreprise ?

Dans mes précédents posts, j’ai abordé quelques raisons qui pourraient justifier le fait que nous ayons beaucoup de mal à copier Toyota. Parmi ces raisons, j’ai avancé l’explication selon laquelle beaucoup d’entreprise n’en étaient qu’à leur début dans leur déploiement du lean. Pour appuyer ce point de vue j’ai pensé qu’il serait intéressant de vous présenter un graphique dessiné par Howard Fosdick qui traduit très bien la « dualité » entre la communication et la pratique du lean. Howard Fosdick l’applique aux nouvelles technologies (Publicity vs. Usability for New Technologies). Voici un exemple qui me vient à l’esprit : tout le monde parle de nanotechnologie aujourd’hui mais son niveau d’utilisation est nul. En réalité, les choses en sont encore à l’état pré embryonnaire…

Ce graphique d’ Howard Fosdick m’a fait penser à ce qui se passe autour du lean. Dans la série de posts portant sur mes courbes préférées applicables au lean ("les courbes du lean"), je vous propose ci-dessous une réinterprétation ce graphique qui parle de lui-même. J’ai simplement rajouté deux commentaires pour souligner deux points :

  • Localiser où en sont la plupart des entreprises dans le déploiement du lean. On en parle beaucoup mais la pratique est très limitée. Très souvent cela ne va pas au delà du déploiement des outils techniques.
  • Le niveau de maturité chez Toyota. La pratique est ancrée dans l’ADN. Personne n’a besoin de communiquer sur le sujet sur le déploiement qui se fait.

Ce graphique rejoint en partie un adage populaire qui affirme que « c’est celui qui en parle le plus qui en fait le moins ». Comment en parle-t-on dans votre entreprise ?

PS : Certains pourraient trouver une forme d’oxymore dans le titre ci-dessus (les courbes du lean), sachant que le mot lean, comme vous le savez, peut se traduire par « maigre » en français…

02 novembre 2006

Pourquoi n’arrivons nous pas à copier Toyota ?....Suite et fin.

Dans les deux post précédents, j’ai énuméré quelques raisons qui pourraient expliquer les difficultés que rencontrent les entreprises occidentales pour copier Toyota. Dans ce post, je continue à énumérer d’autres raisons. Une fois de plus, je n’ai pas la prétention d’être exhaustif et il y en a probablement d’autres. Toute autre suggestion est la bienvenue sur ce blog...

En plus des raisons citées dans mes précédents posts, en voici quatre autres et pas les moindres :

  • La durée de l’implémentation des principes lean. Toyota applique le TPS depuis le début des années 50. Il lui a fallu plusieurs années pour mettre en œuvre le TPS dans toutes ses usines. La plupart des entreprises qui cherchent à appliquer le lean ne le font sérieusement que depuis moins d’une dizaine d’années. Si certains outils du lean peuvent être appliqués rapidement, il faut manifestement un certain temps pour appliquer le lean en tant que système.
  • Une autre raison avancée par des experts du lean pour expliquer la difficulté à copier le lean est l’approche « court-terme » qui caractérise nos entreprises. La plupart des managers, craignant les sanctions de la bourse, se focalisent plus sur leurs résultats trimestriels que le devenir de leur entreprise à long terme. En réalité, le problème ne se pose pas en termes de « long terme » contre « court terme ». Je voudrais prendre un petit moment pour clarifier ce point car il est bel et bien possible de concilier les deux. Comme l’explique très bien John Kotter dans ses livres « Leading change » et « The Heart of Change », le long terme, c’est la vision et pour mettre en œuvre durablement cette vision, il faut penser à prévoir des « short-term wins » dans sa « roadmap ». Au final, un bon manager doit bien avoir une vision long-terme et paver sa feuille de route de « petits » succès intermédiaires destinés à permettre à ses collaborateurs de garder la « foi » et l’enthousiasme nécessaires pour aller jusqu’au bout et réaliser la vision …
  • Une autre raison est le manque de personnes réellement formées au lean. La plupart des consultants qui déploient le lean actuellement en France n’ont jamais travaillé dans une entreprise réellement lean. Beaucoup ont été salariés d’un grand équipementier d’automobile français. On peut avoir quelques interrogations sur le devenir du déploiement quand on voit les résultats produits chez cet équipementier d’automobile. Cette entreprise a obtenu des résultats impressionnants en termes de réduction des coûts en se focalisant sur les outils techniques du lean. Malheureusement elle semble avoir oublié le coté management au point où son niveau de turnover est réputé être parmi les plus élevés de France… Ce n’est certainement pas cela les « bons fruits » que l’on peut attendre de la mise en œuvre du lean.
  • Enfin, une raison très forte est peut être tout simplement le fait qu’il ne soit pas possible de déployer ce nouveau système dans une entreprise qui déjà une culture établie et des anciennes habitudes bien ancrées…. Ce point est, à mon avis, le plus perturbant.

24 octobre 2006

Pourquoi n’arrivons nous pas à copier Toyota ?....La suite

Une des raisons souvent pointées du doigt par les experts est le leadership.
Voici mes citations préférées sur le leadership. Certaines d’entre elles sont tirées d’un livre que je vous conseille : « The 101 greatest business principles of all time ». Ce livre, qui n’a a priori rien à voir avec le TPS, traduit très bien le comportement du lean leadership … Je vous donne les citations en VO, c'est-à-dire en anglais.

« The greatest leaders of the 20th century were Hitler, Stalin and Mao: if that is “leadership”, I want nothing to do with it » --Peter Drucker

« Lead the organization as if you have no power » --Kan Higashi, ex-Senior Manager Toyota

« No man will make a great leader who wants to do it all himself, or to get all the credit for doing it » --Andrew Carnegie

« The difference between a boss and a leader: A boss says, “Go!”
A leader says “Let’s go!” » --E. M. Kelly

« You don’t lead by hitting people over the head…that’s assault, not leadership» --Dwight D. Eisenhower

« No person can be a great leader unless he takes genuine joy in the successes of those under him » --Anonyme

« I praise loudly and I blame softly » --Catherine the Great

« As we look ahead into the next century, leaders will be those who empower others » --Bill Gates

« Outstanding leaders go out of their way to boost the self-esteem of their personnel. If people believe in themselves, it’s amazing what they can accomplish » --Sam Walton

« Failing organizations are usually overmanaged and underuled » --Warren G. Bennis

« If the learner hasn’t learned, the teacher hasn’t taught » --Cette citation issue du TWI (training within industry) a été reprise par Toyota dans les années 60. Toyota considère que la mission première d’un leader est celle de développer ses collaborateurs. Pour ce faire, il doit avoir des qualités d’enseignant. Et le seul et unique critère de son efficacité est le résultat obtenu auprès de ses « étudiants ».

« No problem is problem » --Toyota. Chez Toyota on pense que rien ne se passe jamais comme prévu. Il y aura toujours des problèmes. Un bon leader est celui qui forme ses collaborateurs à la détection rapide & résolution des problèmes. Un manager qui ne remonte jamais de problème ne sait pas les voir et cela, c’est un problème!

“Go see: Sr management must spend time on the plant floor.
Ask why: Use the “Why” technique daily.
Show respect: Respect your people.” –Les 3 clés du leadership selon le PDG de Toyota Fujio Cho.

15 octobre 2006

Pourquoi n’arrivons nous pas à copier Toyota ?

Juste à temps, Kanban, Cercles qualité, Kaizen, Hoshin, Cartographie (ou Value Stream Mapping), SMED, TPM sont des outils du Toyota Production System (ou du lean) très courants dans l’industrie. Le TPS existe depuis plus de 50 ans et malgré cette apparente large diffusion des outils du Lean que constate-t-on? Eh bien, l’on constate qu’aucune entreprise n’a été capable de copier le TPS et obtenir les mêmes résultats que Toyota à ce jour. Pourquoi cela ? Cette interrogation est d‘autant plus d’actualité qu’il est désormais quasiment certain que Toyota passera devant GM en 2007 pour devenir le premier constructeur mondial. La situation n’est pas simple pour les autres constructeurs qui ont l’impression que rien n’arrêtera Toyota.
Pourquoi n’arrivons nous pas à copier Toyota ? Dans ce post, je vais en énumérer quelques raisons. J’y reviendrai, si nécessaire, dans les posts suivants.

Fascination pour les outils techniques et absence du management

La copie du TPS dans plusieurs entreprises se réduit très souvent à l’implémentation de certains des outils énumérés en début de ce post. Les résultats obtenus sont, en général, plutôt satisfaisants et rapides. Ceci convient très bien aux managers qui sont friands à la fois de la « technique » et de l’obtention des résultats à court terme. Des résultats à court terme permettent, entre autres, de booster leur carrière. Chez Toyota, il n’y a pas que les outils techniques. Il y a aussi des outils de management et certains d’entre eux sont très visibles. Alors, pourquoi les managers des entreprises qui voudraient copier Toyota ne les reprennent-ils pas ? Est-ce parce qu’ils n’en comprennent pas l’importance ou par simple conservatisme ?

Deux exemples concernant le management

Je vais citer deux exemples bien précis concernant le management.
  • L’open space pour les employés : cela consiste à placer tous les employés dans un seul espace de travail ouvert et sans cloison. Quand on visite les usines de Toyota et que l’on va dans les bureaux on constate que les principes du lean y sont également appliqués. Les employés sont organisés suivant le flux du « process » dans un espace compact de manière à faciliter les échanges et accélérer le traitement et la résolution des problèmes. Dans une organisation comme celle-là, tout le monde est accessible en temps réel sans aucune barrière réelle ou virtuelle que pourraient constituer les bureaux (même vitrés) et les secrétaires des « chefs». En effet, il s’agit d’un « open space » complet pour tout le monde sans exception : du « petit technicien » au grand directeur. Vous me diriez qu’il existe également des open spaces dans les entreprises occidentales. C’est vrai et c’est d’ailleurs un « outil » très apprécié ! Simplement, le principal avantage qui est mis en avant est le gain de surface. Dans la plupart de ces entreprises, on continue à organiser le travail par département, par spécialité et les managers continuent à « s’enfermer » dans leurs bocaux (d’ailleurs, cela semble être le principal indicateur d’importance : plus on est important plus on a un grand bureau…
  • Autre constatation quand on visite Toyota, aucune distinction visibles entre les managers et les autres (y compris les ouvriers). La tenue extérieure : dans une usine le vêtement de travail (le « bleu » de travail) est porté par tous. Les espaces café, les lieux de restauration sont les mêmes pour tous. Les parkings sont les mêmes pour tous. Pas de place de parking réservé ! Dans les entreprises occidentales il est très facile de reconnaitre le « chef » partout où il se trouve. Son importance est toujours signalée par un signe extérieur facilement visible et détectable (parking réservé, taille et emplacement du bureau, tenue vestimentaire, rapport directif en vers ses collaborateurs, …). Le chef, cela se reconnaît de loin… Ce qui m’a toujours frappé lors de visites des usines Toyota c’est la difficulté d’identifier les chefs. Des personnes habillées de manière identique (en bleu de travail et pas de cravate) formant un cercle autour d’une table ronde, un café dans une main discutant les uns avec les autres. Et parmi ces gens, le directeur de l’usine et des ouvriers!

A quand l’open space pour tous et la fin des places de parking réservés dans votre entreprise ?

Il ne s’agit pas là de petits détails que certains pourraient considérer comme dérisoires mais de signes visibles symptomatiques de l’écart entre le management de Toyota et celui des entreprises occidentales. Cela montre un management de proximité, supportif, prêt du terrain qui est la base nécessaire à succès à long terme du lean. Dans son bestseller « Leading change », le grand guru des sciences de management, John Kotter, explique très bien l’importance de ces « détails » dans le succès de la transformation d’une entreprise.
Alors à quand l’open space pour tous (y compris pour les chefs) et la fin des places de parking réservés dans votre entreprise ?

08 octobre 2006

Votre entreprise est-elle vraiment lean ?

Dans ce post, je voudrais partager avec vous un ensemble de 10 critères permettant de savoir si votre entreprise est vraiment lean (traduction légèrement adaptée d’un document d’A. Smalley). Je serais intéressé de savoir la note obtenue par les entreprises engagées dans les démarches lean en France. Combien d'entre elles peuvent se targuer de pouvoir obtenir une note supérieure à 5/10 ? De mon expérience, les critères les moins appliqués sont les suivants : 10, 1, 6, 5, 7 et 3. Par conséquent, si votre entreprise n’obtient qu’une note de 4/10, il n’ya pas de quoi rougir même si cela signifie qu'il reste un long chemin à parcourir à votre entreprise avant d’être lean...


Production de masse ou Lean Production
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Critère 1
- Economie d’échelle*
- L’économie par la mutualisation, et la vitesse, (Economies of scope, Economies of speed)**

Critère 2
- Machines dédiées
- Machines flexibles

Critère 3
- Travailleurs spécialisés dédiés à une seule fonction
- Travailleurs polyvalents formés pour être multifonction et multitâche

Critère 4
- Peu de changements de tournées (convois, outils) /utilisation de lots de grande taille
- Changements fréquents de tournées (convois, outils) / utilisation de lots de petite taille

Critère 5
- Amélioration par l’introduction de nouvelles technologies / techniques (innovation)
- Amélioration de la méthode d’abord et ensuite, si nécessaire, introduction l’innovation après

Critère 6
- Améliorations réalisées par les ingénieurs et la hiérarchie (les chefs)
- Améliorations réalisées par les opérateurs, chefs d’équipe, ingénieurs et hiérarchie

Critère 7
- Qualité par le contrôle (on produit et on contrôle la qualité ensuite)
- Qualité dans le process (un produit réalisé est un produit de bonne qualité)

Critère 8
- Produire chaque fois que cela est possible (tout ce qui est produit ne sera plus à produire)
- Produire uniquement à la demande (arrêter la ligne s’il n’y a pas de demande)

Critère 9
- Enormes stocks
- Faibles stocks


Critère 10
- L’efficacité apparente est reine
- L’efficacité réelle est la clé

* Fabriquer plus de quantité d’un même produit sur une même machine permet de réduire son coût unitaire

**J’ai respectivement traduit « Economie par la mutualisation » et « Economie par la vitesse » des termes anglais Economies of Scope et Economies of Speed. Economie par la mutualisation = utiliser un même moyen pour fabriquer des produits différents permet de réduire le coût à l’unité. Economie par la vitesse = utiliser un moyen pour produire plus vite et réduire le temps de livraison. Pour plus de détails sur ces définitions ainsi que la notion d’Economies of Span voir Ross Mayfield's Weblog

04 octobre 2006

Le Juste Besoin du Client et la « customisation de masse »

Le 9 février 2006, neuf mois seulement après son arrivée à la tête de Renault, Carlos Ghosn présentait le plan de croissance de la marque au losange au cours des prochaines années : le « Contrat Renault 2009 ». Les principaux objectifs de ce plan étaient :
- un accroissement de la marge opérationnelle du groupe de l'ordre de 6% en 2009.
- la sortie d’ici 2010 de 26 nouveaux véhicules à travers le monde.
- Une croissance des ventes de 800 000 véhicules entre 2005 et 2009.

Dans le passé, plusieurs constructeurs ont décliné des plans de ce type de plan sans finalement atteindre leurs objectifs. L’une des raisons de ces échecs vient de la confusion entre le besoin véritable du marché et la tendance facile à céder à la « customisation de masse » qui pourrait se traduire dans cette annonce par la volonté de sortir 26 nouveaux véhicules.

Dans un schéma similaire à la production de masse (perception quantitative), la customisation de masse (perception qualitative) caractérise la propension qu’ont certains producteurs de biens de consommation et des fournisseurs de services à mettre à disposition du marché une multitude d’offres. Ils pensent ainsi multiplier leurs chances de satisfaire au besoin du client. En réalité, de même que l’on ne vend pas forcément plus parce que l’on met plus de produits (en quantité = production de masse) sur le marché, on ne vend pas davantage parce que l’on offre plus de choix au client. L’objectif est d’être capable de coller de la manière la plus juste au juste besoin du client (JBC). Car dans certains cas, trop de choix tue l’offre, comme l’explique Barry Schwartz, dans « The paradox of choice : Why More Is Less ».

Le véritable secret du succès n’est, manifestement pas l’innovation ou la multiplication des nouveaux modèles. Il semble bien plus simple de bien « écouter » le client et lui fournir ce qu’il veut que de créer des produits, que l’on estime être les « meilleurs » ou les plus innovants et ensuite essayer de convaincre le client que c’est ce dont il a besoin. A ce propos, Voici ce que Jim Womack et son équipe de l’IMVP disaient déjà dans les années 90 au sujet de Toyota.

It’s not brilliant product innovations or culture or a weak currency or strong government support that makes this company stands out in global competition. It’s the brilliant focus on core processes

Autrement dit, la véritable clé du succès de Toyota ne se trouve ni dans l’innovation ni dans la faiblesse du Yen, ni dans le soutien du gouvernement japonais (comme le suggérait Bill Ford il y a quelque mois), ni dans la culture japonaise mais dans leur maitrise totale du process. Ce discours qui date d'une vintaine d'années est toujours d’actualité.

01 octobre 2006

L’Airbus A380 : Est-ce un pari sur le transport de masse ?

L’Airbus A380 a été au centre de l’actualité ces dernières semaines. Il a surtout été question du retard de livraison de ce super-jumbo d’une capacité maximale de 800 personnes.
Quel est le lien entre l’Airbus A 380 et le Lean ?

Retard de livraison
Le premier lien vient de l’implantation des usines d’Airbus. Les usines sont éparpillées dans le monde (certes, majoritairement concentrées en Europe). Chaque usine fabrique une partie de l’avion et tous ces morceaux d’avion sont transférés à Toulouse où le produit final est assemblé. C’est l’exemple parfait d’une organisation destinée à la production de masse. Comme toutes les organisations destinées à la production de masse, la philosophie de base est « l’économie d’échelle » qui pousse les industriels à se focaliser sur le taux d’utilisation des ressources (moyens de production, expertise, …) plutôt que sur le process ou le flux d’assemblage. Cela se traduit concrètement par l’organisation des moyens de production et des ressources par spécialité ; ce qui conduit à la création des usines spécialisées. Le talon d’Achille ici est la supply chain (la chaine logistique). Comment faire pour assurer la livraison en JIT (JIT = juste à temps) de plusieurs constituants qui viennent de partout, à travers le monde ?
Comme vous le devinez, la meilleure organisation devrait être orientée process. Si l’on fait rapidement un Value Stream Mapping (il s’agit de suivre les flux de matière et d’information de toutes les étapes de l’assemblage du produit), on se rend compte qu’il vaudrait mieux organiser les usines par produit (et non par constituant). L’idéal étant de concentrer tout l’outil de production au même endroit. La production d’un super-jumbo de 800 places est un énorme défit, sans précédent. Son maillon faible qui est la supply chain est plus que jamais sollicité vu l’ampleur du challenge. Est-ce ce maillon tiendra ?

Que demande le client ?
Un autre lien entre l’A380 et le lean se retrouve dans le dernier livre des compères Jim Womack et Dan Jones : Lean Solutions. Ce livre décrit très bien le sentiment que j’ai eu à l’annonce du projet de l’Airbus A 380. Cet avion de 800 places est surtout destiné au transport de hub à hub, entre grandes villes.
Pour illustrer les choses, supposons que vous habitez Lyon et que vous souhaitez rendre visite à un de vos amis à Washington. Vu les tailles des villes de départ et d’arrivée, il semble difficile de penser qu’il puisse être possible de trouver 800 personnes à Lyon qui vont à Washington chaque jour. Je n’ai pas fait d’étude sur le marché Lyonnais de voyage vers Washington, mais il semble qu’il faudrait tabler plutôt sur des fréquences de quelques semaines voire quelques mois. En d’autres termes, si les clients sont prêts à attendre un certains temps, (un, deux, trois mois), l’affréteur du A380 pourra trouver 800 personnes et rentabiliser son affaire. Les clients n’attendront aussi longtemps que s’ils ont une contrepartie. Par exemple, si les tarifs (bas) le justifient. Ce type de voyages porte un nom : cela s’appelle des charters. Il ne me semble pas que Airbus ait décidé de lancer un avion aussi couteux (il faudrait en vendre au moins 300 pour que cela soit rentable) pour cibler les compagnies de charters… En conclusion, l’Airbus A380 n’est pas le bon avion pour un Lyon – Washington en vol régulier. En réalité, les seuls axes pouvant êtres desservies sont ceux qui relient de très grandes villes. Reprenons donc notre exemple initial où en étant à Lyon vous voulez rendre visite à votre ami à Washington. Pour vous y rendre en A380 il faudrait prendre un avion de taille moins importante (ou un TGV) jusqu’à Paris. Arrivé à Paris, vous pourrez alors voler en A380 de Paris à New York. A votre arrivée à New York, vous devriez probablement prendre un troisième avion pour Washington (ou un train Amtrak qui parcours New York – Washington, DC en 4 heures, je l’ai testé). Toutes ces escales vont augmenter considérablement votre temps de voyage de plusieurs heures par rapport à un vol direct Lyon – Washington. Est-ce cela que recherche le client ? J’en doute…

Exactement ce que je veux, quand je veux et où je veux
Revenons au livre de livre de Womack et Jones. Les auteurs partent d’un constat : aujourd’hui de plus en plus d’entreprises adoptent le lean manufacturing et la plupart ont fait de réels progrès en réduisant substantiellement les gaspillages dans leur flux de production. En revanche, on constate qu’il y a beaucoup gaspillages dans la phase consommation comme le montre notre exemple sur du trajet Lyon – Washington. Les auteurs pensent que le consommateur et le fournisseur gagneraient, tous les deux, à appliquer les principes du lean à la consommation de manière à supprimer ces gaspillages. Comme point de départ, Lean Solutions définit les attentes du consommateur en 6 points.

En tant que consommateur qu’est-ce que j’attends du fournisseur du service ou du produit?
Je veux :
- que mon problème soit résolu complètement

- qu’il ne me perde pas mon temps

- qu’il me donne exactement ce que je veux, quand je veux et où je veux (cette phrase comporte 3 points)

- qu’il me simplifie ma décision d’achat

C’est dans cette matrice à six points que fournisseur doit construire son offre.

A380 : fleuron ou boulet ?
En réalité, le problème avec l’A380 c’est qu’il correspond à un transport de masse qui à l’instar de la production de masse génère des stocks (attentes des clients aux différents points d’enregistrement et d’escale). Cette solution ne respecte manifestement pas le 2ème principe, défini ci-dessus (comme nous l’avons vu précédemment, le client perd beaucoup de temps). Le 4ème principe n’est pas respecté non plus. En effet, le «quand je veux » implique des vols fréquents ; or un avion de 800 personnes ne peut pas être aussi fréquent qu’un avion classique de 100 à 200 places. Le 5ème principe n’est pas satisfait non plus. De fait, je ne peux pas prendre l’A380 de Lyon à Washington. Bref, l’Airbus n’est clairement pas le meilleur moyen de fournir un service de transport lean. Il s’agit d’un moyen de transport de masse dont la philosophie de base, comme dans le cas de la production de masse, est l’économie d’échelle. Paradoxalement, la réalité est toute autre car très souvent les attentes de l’avion au sol finissent par augmenter fortement le coût d’exploitation par place.

L’Airbus A380 est manifestement un avion qui va à contre-courant de la tendance actuelle dans l’industrie. C'est-à-dire la recherche des solutions lean pour le bien des clients et des fournisseurs de services ou de produits. Sera-t-il le fleuron d’airbus tel que l’on nous l’a promis ou le boulet qui lestera cette belle aventure européen qu’est EADS ? L’avenir nous le dira.

19 septembre 2006

Tout doit être visible afin qu’aucun problème ne soit caché

Une fois n'est pas coutume, je vais commencer ce message par l'exercice décrit dans le dessin ci-dessous (origine : Art Smalley) .

Alors, quel temps avez-vous mis dans les deux cas ? Quel est la différence entre ces deux temps?

Un des principes du « Toyota Way »

Un des quatorze principes de management du « Toyota Way » est la recherche effrénée de la visibilité, partout : de l’atelier jusque dans les bureaux. Le principe est simple et s’appuie sur l’un des mantras de E. Deming : « ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas ». Ma parodie préférée de cette citation est : « ce qui se mesure s’améliore… ». En effet, tout simplement, le fait de suivre un indicateur le fait baisser quasi-mécaniquement d’entrée de jeu. Pour Deming et bien d’autres gourous de l’amélioration, la première étape de l’amélioration d’un process est la mesure et il n’y a pas de moyen plus performant de mesure que l’œil !

Le test d’acide…


Pourquoi Toyota recherche la « visibilité » ? La réponse est la même que dans mes précédents messages : faire émerger les problèmes afin de les résoudre. De plus, un process visible est plus facile à piloter ; les décisions sont prises non pas sur la base d’impressions ou de sentiments mais d’informations concrètes et visibles.

Le test d’acide de la visibilité est donné par Tahichi Ohno. Si vous n’êtes pas capable « en regardant de voir et dire s’il y a un problème » alors votre process, n’est pas « visible ». Cela implique un flux simple, facilement compréhensible et organisé dans le sens du process. C’est certainement la partie la plus difficile à réaliser mais aussi celle qui donne le plus de résultats.

Une fois que l’on a travaillé sur l’implantation du process physique, les andons sur lequels sont affichés les indicateurs de performance clés peuvent alors être utilisés faire émerger les problèmes et piloter le process.


Et le 5 S ?

Si vous posez la question suivante autour de vous : « Qu’est-ce que le 5S ? ». Les personnes les plus informées vous énuméreront les 5 étapes suivantes du 5S :

1. SEIRI = Séparer les objets nécessaires du non nécessaire

2. SEITON = Organiser en mettant chaque objet dans sa position optimale dans l'espace de travail

3. SEISO = Nettoyer en profondeur les outils / équipements de travail ainsi que l'environnement

4. SEIKETSU = Standardiser les procédures de travail, les checklistes de manière à maintenir l'espace de travail propre et bien organisé

5. SHITSHUKE = Discipline dans l'application des étapes suivantes afin de maintenir un espace de travail propre et ordonné

Peu de gens n’ont jamais entendu parlé du 5S, beaucoup pensent appliquer le 5S… Nombre d’entreprises communiquent sur leur démarche 5S. Simplement, très peu de personnes sont capables de vous expliquer pourquoi on fait le 5S (même si elles sont capables d’en citer les étapes). Le « drame » du 5S est qu’il a été tellement « popularisé » qu’il a perdu tout son sens. Résultat des course, cet outil, qui est sensé augmenter le moral et améliorer le travail de employés de Toyota, est plutôt toléré, voire considéré comme un mal nécessaire ici...
Le 5S est un de outil performant utilisé par Toyota pour rendre atteindre et maintenir la « visibilité ». Il mérité largement d’être revisité et ré expliqué (en insistant sur le pourquoi et non le comment) afin de tirer le maximum de son efficacité.

Au lieu de faire du texte, et vous ré expliquer une nième fois le 5S, je vous propose ci-dessous un deuxième dessin qui permet d’illustrer l’efficacité du 5S. Ce dessin comme le premier est inspiré de documents d'Art Smalley, l’un des meilleurs experts du lean.




10 septembre 2006

Une leçon du « 5 pourquoi » dans l’usine de NUMMI

Un escalator en panne chez Toyota

L’usine de NUMMI (NUMMI = New United Motor Manufacturing, Inc.) est une joint venture Toyota – GM située dans la ville de Fremont en Californie aux US. Cette usine produit des voitures pour les duex constructeurs depuis 1984. Il s’agit de la première usine exploitée par Toyota aux US. L’un des intérêts de NUMMI est qu’elle a été créée dans une ancienne usine qui appartenait à GM et qui n’était d’ailleurs pas parmi les plus performantes en son temps. La main d’œuvre originelle de NUMMI était également largement constituée d’anciens employés de GM. Cette usine est donc une preuve incontestable du fait qu’il est possible de faire du TPS en partant des moyens de production et des hommes issus de la production de masse. La greffe est possible, quel que soit l’état initial de l’entreprise ; il n’y a pas besoins d’employés japonais ! Ce site a longtemps hébergé le centre de formation où GM envoyait ses salariés pour être formés aux méthodes du TPS. GM y a également muté quelques uns de ses managers. Ces hommes sont aujourd’hui les piliers du système de production de GM (GMS = Global Manufacturing System) et des actions concrètes dans les usines du constructeur américain. Pas étonnant que GM soit celui des « big three » qui maîtrise le mieux le TPS !

Dans mes prochains messages je reviendrai sur cette usine que j’ai eu l’occasion de visiter et qui me semble être un laboratoire très intéressant pour tous ceux qui voudraient mettre en pratique le lean.

La première histoire que je vais raconter sur l’usine de NUMMI vient de Mark Graben, un ancien élève du MIT avec qui j’ai échangé pendant mon séjour aux US. Il raconte que lors de sa visite de NUMMI il est passé devant un escalator bloqué. Au dessus de cet escalator il y avait l’affiche suivante :


"Sorry for inoperative escalator.
It would cost$120k to repair.
We feel money could be better
spent on other things.
Please accept our apologies."

Il faut préciser que l’escalator n’était pas le seul moyen de rejoindre l’étage supérieur. Il y avait également des escaliers et un ascenseur.

Quelle n’a pas été sa surprise de constater qu’en plein sanctuaire de la TPM on pouvait laisser un escalator en panne sans s’empresser de le réparer !

Il s’agit là d’un exemple frappant du résultat de l’utilisation du « 5 pourquoi ». Le « 5 pourquoi » consiste à ne pas agir sans chercher la cause première des choses. Il faut poser la question « pourquoi ? » 5 fois pour être certain que l’on ne se contente pas dans « l’apparent ». Dans le cas de l’escalator les personnes chargées de l’entretien de l’escalator on dû se demander pourquoi réparer un ascenseur qui ne sert à rien car il y avait d’autres moyens d’accéder à l’étage supérieur (escaliers et ascenseur) ? Comme le dit l’affiche : pourquoi ne pas mettre cet argent ailleurs ? Ce réflexe du « pourquoi » nous manque si souvent dans tout ce que l’on fait au quotidien. Le « 5 pourquoi » est un des outils les plus performants du TPS. Il encourage les employés à se poser la question sur « le pourquoi » de ce que l’on entreprend. Certes, sur la cause profonde, quand il s’agit d’une panne mais aussi sur la finalité des actions engagées. Ne pas faire les choses parce cela a toujours été fait ainsi mais se demander pourquoi au préalable. Comme vous le savez l’une des caractéristiques du TPS est de faire émerger les problèmes et les résoudre. La résolution des ces problèmes permet aux employés de progresser. Chez Toyota on pense que les meilleures solutions sont celles qui sont le résultat du « 5 pourquoi ».

Ce n’est pas « la vérité révélée » …N’oubliez pas le client

Il n’est pas inhabituel que des chantiers Kaizen ou de mise en place des outils de lean soient lancés sans se demander pourquoi on le fait et ce que cela rapporte. Il ne faut pas perdre de vue que le but de tout cela est de satisfaire à la demande du client. Par conséquent, la question doit toujours être : comment en faisant ce que je fais je réduis les coûts tout en réponds mieux à la demande du client ? De nombreux consultants et managers on tendance à considérer le lean comme étant la « vérité révélée » et n’hésitent pas à se lancer dans un déploiement directif sans accepter la moindre interrogation sur le bien-fondé de outils déployés. Combien de fois a-t-on vu des gens faire du Heijunka, du SMED ou imposer le passage au petits colis alors que cela ne s’imposait pas ? Mêmes les plus grands se font avoir. J’ai encore en mémoire une newsletter de Jim Womack (l’un des inventeurs du lean) qui faisait son mea culpa pour s’être entêter à appliquer certains outils de lean dans des conditions inadéquates. Avec son associé de toujours, Dan Jones, ils avaient racheté une entreprise de fabrication de bicyclette déclinante pour pouvoir appliquer le lean. Jim Womack raconte comment il s’est entêté à lisser la production (Heijunka) à tout prix. Il a tout fait pour que la séquence des pièces produites soit du type « ABABCBAB » alors que les bicyclettes produites étaient livrées une fois par jour. Si les bicyclettes étaient livrées une fois par jour, faire « ABABCBAB » ou « AAABBBBC » ne devrait avoir aucun effet au niveau du client. Pourquoi donc avoir lancer un lourd chantier Kaizen et/ou SMED pour produire à la séquence « ABABCBAB » ? Parce que le lean demande de lisser la production (Heijunka). Dans la même série, Il raconte également l’histoire d’une entreprise qui avait lancé un important chantier de Kaizen pour réduire le temps de changement d’outil de 8 heures à 5 minutes. Le seul problème c’est qu’il n’était pas prévu de fabriquer plus d’un type de produit sur cette machine (c'est-à-dire aucun besoin de changer d’outil). Résultat des courses : de l’énergie et du temps perdus uniquement par « dogmatisme » en vers le lean !

Il n’y a pas que des consultants hyper zélés qui poussent à l’application « aveugle » des outils du lean. En effet, il n’est pas rare que des chantiers lean soient lancés dans les entreprises tout simplement parce que le « chef » l’a demandé. Des managers précédemment hostiles se sont transformés du jour au lendemain en disciples du lean tout simplement par injonction du « chef ». Ce ne sont pas les meilleures conditions d’application du lean. Toyota se considère comme une organisation dont la force vient du savoir-faire des ses hommes. Et dans ce sens, répondre à la question du « pourquoi » est aussi important que la mise en place des outils elle-même. Si vous faites quelque chose aujourd’hui sans savoir pourquoi ; qu’est-ce qui vous fait penser que demain vous ne ferez pas exactement le contraire ? Cela nous conduit à l’importance du leadership dans la mise ne place du lean. Mais cela est un autre sujet qui sera abordé ultérieurement.

Pourquoi, pourquoi, pourquoi, pourquoi, pourquoi … 5 fois voire plus si nécessaire. Facile à dire mais pas à faire.

05 septembre 2006

La structure de la “ maison” TPS

La philosophie autour de laquelle est construit le système de fabrication de Toyota est la culture de l’amélioration continue. Le principe est de définir des standards permettant à tous les employés, sans exception, d’éliminer tous les gaspillages. Le but recherché est de réduire au minimum le temps entre la commande d’un produit et sa livraison. Le produit livré doit être irréprochable en terme de qualité et être fabriqué au moindre coût. Le TPS repose sur deux piliers : le Juste à Temps et le Jidoka.




Le Juste à Temps
Ce pilier, le plus connu du TPS, a pour finalité de livrer la bonne pièce, en bonne quantité au bon moment tout en utilisant le minimum de ressources. Contrairement à ce qui se passe dans la production de masse, il n’est absolument pas question de fournir la pièce plus tôt que prévu ou de produire plus de pièces que nécessaire. Cela implique la suppression des stocks qui ont, en outre, l’inconvénient de masquer les problèmes qui perturbent le flux. Il est important de préciser à ce niveau que la motivation première de la « suppression » des stocks n’est pas financière mais bel et bien la volonté d’exposer les problèmes. Bien sûr cela suppose que l’on ait la capacité (hommes, méthodes et organisation) pour résoudre les problèmes qui émergent sinon c’est la catastrophe assurée ! « Rendre les problèmes visibles » est une notion fondamentale chez Toyota qui tient à ce que tout soit soit visible, même les problèmes. Il s’agit ici de détecter les causes d’instabilité et de les résoudre. Comme le montre le dessin de la « maison du TPS », la stabilité est le socle du TPS. Il est en effet très tentant de se lancer dans les le déploiement du Juste à Temps sans s’assurer au préalable (ou en parallèle) que les problèmes qui perturbent le flux sont résolus. La perturbation du flux peut être due aux machines (ex : pannes) au hommes (ex : formation) à la matière (ex : disponibilité des pièces), aux méthodes de travail (ex : le PDCA). La résolution de ces problèmes est un pré requis au succès du juste à temps.
La mise en place du juste à temps peut être perçue comme un « renoncement » à produire quand on en a la possibilité. Le bon sens ne préconise-t-il pas que « ce qui est produit ne sera plus à produire ? ». Dès lors il est possible qu’un déficit de compréhension du TPS amène à associer au déploiement du JIT la création de surcapacité dans l’outil de production afin de compenser ce « renoncement » à produire. Ce type de réflexe est et contreproductif.
Le flux continu, le flux tiré via le Kanban et le takt time sont les outils les plus importants du JIT. La production est tirée par la demande du client est propagée via les kanbans. Cette demande du client est exprimée au travers du takt time (le temps entre deux pièces consécutives permettant de satisfaire la demande du client).

Le Jidoka
C’est l’autre levier du TPS. Il est aussi appelé Automonation. Ce mot est la contraction de deux mots anglais autonomous (autonomie) et automation (automatisation). Le Jidoka a deux composantes : (1) la qualité à 100% à chaque étape du process, (2) la séparation de l’homme et de la machine. Ces deux composantes supposent, à l’instar des machines à tisser de Sakichi Toyoda, le fondateur de Toyota, que les machines puissent être capables de s’arrêter avant la survenance de tout problème. D’où l’idée d’une automatisation « intelligente », « humaine » ou autonome. Cette automatisation « intelligente » permet à la machine de prendre la décision de s’arrêter automatiquement de manière à éviter la production de pièces de mauvaise qualité ainsi que la propagation de défauts en aval. En plus de la qualité, ce système permet également d’éviter des accidents (blessure de personnes et dommages importants des machines). Cette notion, comme le JIT, va à l’encore des réflexes généralement admis dans la production de masse. En effet, tout arrêter au premier moindre problème peut sembler tomber sous le sens. Une fois de plus, comme dans le cas du JIT, il s’agit de rendre tout problème visible voire insupportable de manière à ne pas avoir d’autre choix que de s’y attaquer réellement (recherche de causes profondes) et au plus tôt. Une fois encore, comme dans le cas du JIT, le fabricant doit être capable de résoudre efficacement les problèmes ainsi exposés sinon c’est la catastrophe. Cette capacité à résoudre les problèmes se mesure surtout en terme d’hommes (formation, motivation, organisation) et qu’en terme d’équipement. Par exemple, la mise en place d’une surcapacité prévisionnelle pour absorber les arrêts immédiats de lignes alors qu’auparavant l’on continuait à produire n’est pas de nature à rendre la récurrence des problèmes « insupportable ». Cela peut être contre productif dans le déploiement du Jidoka.
La deuxième composante du Jidoka qui est la séparation de l’homme et de la machine n’est possible que si la machine est autonome. La conséquence immédiate est un gain des ressources, celles qui ne sont plus désormais affectées à la supervision du des machines. Chez Toyota, on pense que l’homme mérite mieux que d’être placé devant une machine à la regarder fonctionner.

Amélioration continue et suppression de toutes les causes de variabilité
Comme la stabilité du process, le lissage de la production (Heijunka) est un pré requis du TPS. En lissant la production on supprime les variabilités et optimise, du même coup, les ressources. Cela contribue au flux continu. Le Kaizen (en japonais : Kai = changement, Zen = bien) ou amélioration continue et le travail standard sont les « deux facettes de la même pièce » : on améliore on fige… on améliore on fige… ainsi de suite. C’est clairement la philosophie de E. Deming (créateur de la roue du même nom).

28 août 2006

Les objectifs du TPS

Le but d'une entreprise reste le même...

La question sur les objectifs de Toyota revient très souvent quand l’on commence à s’intéresser au TPS. Dans son célèbre livre, « Le but », E. Goldratt insiste sur le fait que le but de toute entreprise est de gagner de l’argent. Cela reste vrai pour Toyota également. La grande différence par rapport aux autres entreprises c’est la notion du long terme. En effet, on n’utilise pas la même stratégie ou les mêmes moyens pour gagner de l’argent à court ou à long terme. Contrairement à ce qui se passe chez Toyota, la plupart des entreprises occidentales ont une culture de management et un environnement qui rend quasiment impossible une philosophie de long terme. Le style de management n’étant pas l’objet de ce message, je reviendrai sur ce point dans un prochain message.

Pour atteindre ce but, qui est le profit sur le long terme, Toyota s’est donné les quatre objectifs suivants :

  1. Fournir la meilleure qualité et le meilleur service à ses clients
  2. Développer le potentiel de chaque employé en s’appuyant sur le respect mutuel et la coopération
  3. Réduire les coûts par l’élimination des gaspis de manière à maximiser les profits
  4. Développer un outil de production flexible qui peut permettre de répondre à la demande dynamique du marché.

Voilà donc les objectifs du TPS. Il n’y en a pas d’autres. Tous le reste, notamment, les quelques méthodes ou outils les plus connus (Kanban, 5S, VSM, Jidoka, SMED, TPM, JIT, …) ne sont que des moyens pour atteindre les objectifs ci-dessus.

Les hommes d'abord

De ces quatre objectifs, celui où se focalisent souvent les énergies des entreprises occidentales qui se lancent dans le lean est le troisième. En effet, c‘est celui qui est le plus facile à « vendre » aux managers car il permet de produire des résultats rapidement. Malheureusement, l’ignorance des autres objectifs rend les gains réalisés précaires. Le plus difficile n’est pas de faire des gains mais de les pérenniser…
A l’inverse, celui des quatre objectifs qui va dans le sens du long terme et qui donne les résultats les moins visibles rapidement est le deuxième. Il est, à mes yeux, le point le plus important et un des critères qui permet de juger du bon déploiement du lean. Au coeur du TPS, il y a l’Homme. Toyota pense que le pré requis pour obtenir des meilleurs résultats est la participation totale des employés. Toyota se considère moins comme une entreprise (au sens classique du terme) mais plus comme une organisation qui accroît sa valeur en développant les hommes et les partenaires. Comme le disait un des grands managers de Toyota, Gary Convis, « On construit des hommes pas seulement des voitures chez Toyota ». Afin de satisfaire ses objectifs, les hommes dans leurs postes et au quotidien doivent mettre en place et maintenir des standards, résoudre les problèmes, conduire l’amélioration continue et organiser de manière efficace le travail en équipe. On peut malheureusement constater que l’une des entreprises française ayant produit l’un des efforts les plus importants pour « copier » le TPS a également l’un des taux de turnover les plus élevé de la France. Ce résultat est troublant et soulève quelque questions sur le point 2 qui vise à « Développer le potentiel de chaque employé en s’appuyant sur le respect mutuel et la coopération ».
Quant au point 1, il vient en général après le point 3. En effet, le Jidoka qui permet d’atteindre le premier objectif est souvent mal compris, peu et mal appliqué dans les entreprises occidentales. Pour preuve, si vous tapez les mots « 5S », « JIT » et « Kaizen » sur Google, vous obtiendrez respectivement 17 600 000, 13 100 000 et 3 820 000 résultats alors que si vous faite une recherche sur le mot « Jidoka » vous n’aurez que 42 100 réponses.
Le quatrième objectif est quasiment absent. Il est très souvent contrarié par le manque de vision long terme.

Quels sont les objectifs de votre entreprise?

Si nous nous résumions, le lean dans nos entreprises se résume en général à :

  1. Réduction des coûts par l’élimination des gaspis de manière à maximiser les profits.
  2. Fournir des produits et service de meilleure qualité à ses clients.

Il ne s’agit là que de deux des quatre objectifs du TPS et en plus, ils ne sont même pas dans le bon ordre. L’écart entre les objectifs du TPS et ceux de nos entreprises justifie certainement en partie qu’à ce jour (près de 50 après la naissance officielle du TPS), beaucoup d’entreprises aient eu tant de mal à reproduire avec succès le TPS et ses résultats… Malgré une application très rependue de certains outils du TPS (e.g., Kanban, 5S, VSM, SMED, TPM, JIT…)

16 août 2006

Les origines du TPS en bref

L’histoire de du TPS (Toyota Production System) est étroitement liée à celle de Toyota. Le TPS est le résultat des réponses apportées par Toyota aux différents défis qu’il a dû relever depuis sa création. Les concepts du TPS sont, pour la plupart, très anciens et spécifiques à l’entreprise Toyota. Tous les concepts du TPS n’ont pas été inventés par Toyota. Certains concepts ont été importés d’ailleurs (notamment des USA).

Les deux piliers du TPS

Le TPS s’appuie sur deux piliers : le Jidoka et le Juste à Temps. Le Juste à Temps est plus connu sous le cigle JIT ou Just In Time.

Le Jidoka est la partie la plus ancienne du TPS. Elle a été inventée par Sakichi Toyoda, le fondateur de Toyota, en 1902. Le Jidoka a pour but de garantir la qualité à chaque étape du process et, en plus, de permettre la séparation de la machine et de l’Homme. La machine est dite séparée de l’Homme quand elle peut fonctionner de manière complètement autonome sans la présence de l’Homme. Le principal intérêt est que dans cette situation, l’opérateur est capable de s’occuper de plusieurs machines à la fois. Le Jidoka est née au sein de la Toyoda Spinning and Weaving Company, fondée au 19ème siècle par Sakichi Toyoda. C’est dans le cadre de cette société que Sakichi Toyoda invente une machine à tisser qui s’arrête chaque fois qu’elle détecte une corde coupée, prévenant ainsi la fabrication de produit défectueux. Plus tard, en 1924, il crée une machine automatique qui ne nécessite pas la présence permanente d’un opérateur pour produire. Pour la première fois l’opérateur, dont l’activité est ainsi séparée de la machine, peut s’occuper de plusieurs machines en même temps. Les droits de fabrication et d’exploitation de ces machines révolutionnaires hors du Japon seront vendus et une partie des sommes recueillies sera utilisée pour créer une entité Automatismes devenue autonome en 1937. La direction de cette nouvelle entreprise sera confiée à Kiichiro Toyoda, le fils de Toyoda, qui héritera également de l’esprit d’innovation de son père.

Le deuxième pilier appelé Juste à Temps (JIT) est certainement le concept le plus connu au point qu’il est souvent utilisé abusivement en lieu et place du TPS. Redisons-le une fois encore : JIT n’est pas le TPS mais, simplement, une partie. L’expression « Juste in Time » a été inventée par Kiichiro Toyoda après la création Toyota Motor Corporation (le constructeur d’automobile). L’entreprise, alors très pauvre à sa création, ne pouvait se permettre le moindre gaspillage. Il n’était donc pas alors question de gaspiller le peu d’argent disponible pour acquérir plus de ressources (machines, Hommes, matières premières) que nécessaire. Il fallait n’acquérir ou ne fabriquer que le juste nécessaire, ni en avance ni en retard, d’où l’expression « Juste à Temps ». D’autres outils ou notions, arrivés en 1950, viendront compléter la palette du JIT. Parmi ces outils figurent le Kanban (qui est également abusivement utilisé en lieu et place du JIT et par extension en lieu et place du TPS), le travail Standard, les Supermarchés, le Takt time et bien d’autres. J’y reviendrai dans un prochain message.

Les « bienfaits » de la Seconde Guerre mondiale sur le TPS

Après la seconde guerre mondiale et la défaite du Japon, la situation ne s’améliore pas pour Toyota qui en plus de ses moyens limités, mentionnés ci-dessus, se retrouve dans un pays complètement exsangue. Un jeune ingénieur Taiichi Ohno, qui a fait ses preuves au sein Toyoda Spinning and Weaving est alors envoyé chez Toyota avec pour mission d’améliorer la productivité et déployer les deux piliers du TPS : JIT et du Jidoka. Il est nommé à la tête d’une usine de fabrication de moteurs et peut ainsi tester grandeur nature tous le concepts du Jidoka et du JIT entre 1945 et 1955. Le résultat de ce travail constitueront le noyau de ce qui est aujourd’hui appelé TPS. Taiichi Ohno est officiellement considéré comme l’inventeur du Système de Production de Toyota. Dans ses activités, il s’appuie sur une équipe de plusieurs personnes dont l’une des plus connues est Shigeo Shingo.

Les apports d’ailleurs dans le TPS

D’autres éléments tels que : les sept gaspis, le 5S, le SMED, Le management Visuel, le Poka-Yoké et bien d’autres seront inventés plus tard.
Il convient de signaler que le TPS a largement profité des résultats du travail de personnes extérieures à Toyota telles que :
Henry Ford , W. Edwards Deming, Frederick Taylor (le père de l’organisation scientifique du travail), Samuel Smiles (l’auteur de Self-Help 1859, qui prône la persévérance, la discipline et le management basé sur les faits), Charles Allen (dont le travail est à l’origine du Training Within Industry, développé par l’armé américaine pour améliorer l’efficacité dans l’industrie durant la seconde guerre mondiale). Nous y reviendrons dans un autre message.

Il faut reconnaître que le TPS et le Toyota Way est constitué d’un ensemble d‘outils, de concepts et d’éléments culturels qui doivent leur existence à plus qu’une personne (fût-elle Taiichi Ohno) ou un groupe de personnes. Bien au contraire, c’est le résultat évolutif du développement des idées venues de partout. La spécificité chez Toyota étant à la fois la fidélité à leurs principes fondateurs et la volonté infatigable d’intégrer les meilleures idées internes et externes dans leurs activités.

10 août 2006

Bienvenu sur « Lean Machine » !

Pour lancer le blog Lean Machine j’ai pensé qu'il faudrait commencer par les basics et répondre à quelques questions dont certaines sont peut être à l’origine de votre visite. Dans ce premier message je me limiterai à répondre à la question : Qu’est-ce que le lean ?

Si vous cherchez le mot « lean » dans un dictionnaire Anglais – Français, vous trouverez des définitions qui tournent plus ou moins autour des mots suivants : accoter, inclinaison, incliner, maigre, mince, s'arc-bouter, s'incliner, sec… Le sens à retenir dans cette liste de synonymes est celui de « maigre » ou « mince » même si le lean n’a absolument rien à voir avec la diététique, les techniques de soin du corps ou la gymnastique.

Alors, qu’est-ce que le lean ?

Le lean est un ensemble de méthodes de travail et de management basées sur le Système de Production de Toyota, généralement désigné avec le sigle TPS (Toyota Production System). Le mot lean dans cette acception a été « inventé » par un groupe de chercheurs de l’
IMVP au MIT dans la fin des années 80. Ce mot doit son succès à celui du best-seller dans lequel il est apparu la première fois : "The Machine That Changed The World."

Le mot lean est très souvent utilisé dans des expressions telles que « Lean Production », « Lean Manufacturing », « Lean Enterprise » et « Lean Thinking ». Dans toutes ces expressions, la signification est globalement la même. Leur utilisation de l’une ou l’autre de ces expressions dépend de la notion / dimension sur laquelle l’on souhaite insister. Par exemple l’expression Lean Entreprise véhicule plus que les autres l’approche globale dans la mise en œuvre du lean qui ne doit pas seulement être appliqué dans les usines mais également dans quatre autres domaines : les fournisseurs, les clients, le développement des produits et le management global de l’entreprise.

Où peut-on appliquer le lean ?

Le lean est utilisé non seulement dans l’industrie mais aussi dans beaucoup d’autres domaines tels que le génie-civil, l’aéronautique, l’administration, les services, la banque, l’armée, la santé, … De manière générale, comme toute méthodes qui sont à la mode l’on essaie de l’appliquer un peu partout avec des fortunes diverses.

Lean ou TPS ?

Je ne vais pas m’étendre davantage sur la définition du lean mais plutôt m’appliquer tout de suite un principe bien connu chez Toyota qui consiste à « aller à la source … ». Comme nous l’avons vu ci-dessus, le TPS est à la base du lean. Par conséquent, aller à la « source » du lean, c’est discuter du TPS. Ainsi, dans mes prochains messages je m’attellerai à vous présenter quelques concepts clés du TPS. Le but n’est pas d’être exhaustif mais de donner un résumé succinct des éléments les plus distinctifs du TPS. Si vous êtes à la recherche de documents abordant le sujet de manière complète et extensive, je vous invite à vous reporter à l’un des bouquins de références suivants :
– « Toyota Production System » de Yasuhiro Monden,
– « The Evolution of a Manufacturing Systems at Toyota » de Takahiro Fujimoto
– « A Study of the Toyota Production System from an Industrial Engineering Viewpoint » de Shigeo Shingo,
– « Toyota Production System: Beyond Large Scale Production » de Taiichi Ohno,
– « The Toyota Way » de Jeff Liker.

Voici quelques liens vers les sites directement associés à Toyota :
Le site de Toyota
Le site de l’usine Toyota de Kentucky USA
Le site NUMMI, l’usine Toyota – GM de Californie USA
Le site de l’usine Toyota de France

Dans cette série de messages à venir sur le TPS, je prévoie d’aborder les points suivants :
– Les origines du TPS
– Les objectifs du TPS
– Les principaux concepts du TPS : Le respect des hommes, L’élimination du gaspillage, La qualité, La réduction des coûts, La productivité, La sécurité et la motivation, Le Jidoka, La standardisation, Le Juste à Temps, Le flux tiré, Le Kanban, Le Lissage de la production, Le Takt time, Le flux, La fiabilité du process

Une fois de plus, bienvenu à tous ! J’espère que l’on fera un bon bout de chemin ensemble et que chaque jour, au travers de nos échanges, nous serons plus instruits qu’hier et moins instruits que demain.