22 février 2007

Le lean selon Airbus : réduction de coûts ou réduction de main d’œuvre ?

Dans la fin des années quatre-vingts, l’équipe de l’IMVP dirigée par Jim Womack « invente » le mot « lean ». La description que ce groupe de chercheurs donne du lean est clairement rapportée par l’extrait suivant : « A manufacturing system that results in a better, more cost-efficient product, higher productivity, and greater customer loyalty. The Hallmarks of the lean production are teamwork, communication, and efficient use of resources. And the results are remarkable: cars with one-third the defects, built in half the factory space, using half the man-hours” –The machine that changed the world. En un mot, c’est un système qui permet de faire plus avec moins, notamment moins de ressources humaines (50% en moins). L’actualité industrielle actuelle est dominée par l’annonce prévue, puis reportée, du plan de restructuration d’Airbus. L’un des axes forts de ce plan serait une réduction drastique de la main d’œuvre d’environ 10000 salariés. Les problèmes d’Airbus ont fréquemment fait la une de l’actualité ces derniers mois. Le déclencheur le plus couramment avancé est le retard de livraison du A380. Airbus est en crise, comment faire pour sortir de la crise ? Avant de donner un avis sur le plan annoncé, regardons comment Toyota aurait réagit dans une telle situation.

Comment réagirait Toyota dans une telle situation ?
En réalité, quand l’on scrute l’histoire récente de Toyota l’on constate que les ventes de Toyota ont quasiment toujours monotone croissantes. Il faut remonter à 1950 pour observer la seule véritable crise de l’entreprise japonaise, comme le relate un site web : “In 1950 the company experienced its one and only strike. Labor and management emerged from this stoppage firmly committed to the principles of mutual trust and dependence, and that corporate philosophy still guides our growth today.” Comme le d écrit cet extrait, de cette crise a résulté une volonté ferme du management de Toyota d’établir une relation ferme de confiance qui est l’une des bases de son succès actuel. Très clairement, la main d’œuvre n’est pas considérée chez Toyota comme variable d’ajustement en période de crise. Bien au contraire l’Homme est au centre du système, comme le montre si bien Jeff Liker dans son bestseller « The Toyota way ». On y rentre pour toute la vie… Vous me diriez qu’il est bien trop facile pour Toyota de mener une politique centrée sur l’Homme quand on a des ventes qui croissent continuellement. La réponse à ce type de remarque tient en une seule expression « le cercle vertueux ». Toyota peut maintenir ses ventes croissante parce qu’il applique le lean (c'est-à-dire des produits de meilleure qualité aux moindres coûts) dont le cœur de la démarche est l’Homme. Cela lui permet en retour de ne jamais avoir à licencier, renforçant ainsi la confiance de ses salariés qui en retour sont prêt à « tout donner » pour leur entreprise. Tout ce que je viens de vous raconter vous montre qu’il y aurait très peu de chance que cela arrive chez Toyota mais ne répond pas à la question initiale : « Comment réagirait Toyota dans une telle situation ? ».

Factory physics...
Le terme « factory physics » désigne un ensemble de règles, basées majoritairement sur la théorie des queues, qui régissent le comportement des systèmes de production (c’est aussi le titre d’un livre très intéressant qui traite du sujet). L’une de ces règles représente la relation entre la charge d’un système (hommes et/ou machine) et le temps d’écoulement (lead time). Elle montre que le temps d’écoulement augmente de manière linéaire avec la charge de l’opérateur (ou de l’employé, de manière générale). Cela signifie intuitivement que plus on a de choses à faire plus il faut du temps pour les faire. Jusque là c’est du bon sens « si on a deux fois plus de choses on met deux fois plus de temps pour les faire ». Simplement, comme on le constate sur la courbe ci-dessous, passée la charge de 80%, le temps d’écoulement croit exponentiellement (en effet, toute petite perturbation ralenti énormément le flux). C’est clairement la règle qui régit les embouteillages. Plus il y a de voitures qui empruntent une voie plus la circulation est ralentie jusqu’au moment où plus rien ne bouge. Eh bien, réduire la main d’œuvre quand le carnet de commande se vide (à part la dimension rupture de confiance avec les salariés qui est un point tout aussi important dans l’efficacité d’une entreprise, voir les facteurs hygiéniques de Herzberg) peut être considéré comme de la suppression de Muda. Supprimer de la main d’œuvre en période de surcharge du carnet de commande revient à faire du Muri. Et là, comme le montre la courbe ci-dessous, cela allonge considérablement le temps de service et l’entreprise se bloque. Si cela est le cas d’Airbus, comme semble l’affirmer les connaisseurs du dossier alors l’avionneur européen n’est pas encore au bout de ses difficultés. Car le plan de restructuration risque d’empirer encore la situation… A moins qu’Airbus ait fonctionné pendant des années avec 10000 personnes de plus que nécessaire. Est-ce plausible ?

11 février 2007

Le retour de la Taurus sauvera-t-il le contructeur Ford?

Ford a annoncé cette semaine que l’une de ses voitures, la Five Hundred, (qui peine à la vente) reprendrait le nom de "Taurus" après que la véritable Taurus initiale ait été arrêtée en octobre dernier, après dix ans de vie sans retyling. Un véritable abandon et une « ingratitude » car, la Taurus, comme vous le savez, est la voiture qui a littéralement sauvé Ford. En effet, à la fin des années 80 Ford connaissait de sérieux problèmes, Philip Caldwell, alors PDG de la compagnie, demanda à ses ingénieurs d’imaginer une voiture radicalement différente qui révolutionnerait le monde de l’automobile. Il ne fut pas déçu en 1985 à la sortie de la voiture. La Taurus, de l’avis de tous les experts, venait d’établir un benchmark (référence) en termes de produit (design futuriste), et en termes de développement & conception de produit. Cette méthode de conception sera d’ailleurs reprise par Alan Mulally alors chef du projet Boieng 777 (l’avion dont l’énorme succès fait tant de mal à Airbus) et aujourd’hui PDG de Ford. En 1992, la Taurus devient la voiture la plus vendue aux USA, battant ainsi la Honda Accord. Elle gardera la place de N°1 pendant cinq ans avant d’être détrônée par la Toyota Camry.

Comment Ford a-t-il pu « mettre à la poubelle » un tel succès ? Dans l’un de mes précédents posts, citant « The End of Detroit », je signalais déjà cette incongruité. Dans les années 90, Ford avait décidé de concentrer toutes ses énergies sur les SUV et les Trucks qui se vendaient alors très bien, avec de très belles marges. Malheureusement, la source s’est tarie quand ses concurrents (surtout les japonais, meilleurs en conception et développement de produits) ont commencé à s’intéresser à ces produits juteux. Les choses se sont vraiment gâtées quand le public à commencé à se désintéresser de ces véhicules (au passage très consommateur d’essence). Et voilà Ford qui se retrouve sans produit porteur , pour se retourner … Je rappelle que Ford a terminé l’exercice précédent sur une perte historique de 12,7 milliards de dollars et a dû hypothéquer ses usines pour emprunter les 20 milliards de dollars nécessaires à sa relance.

Ce schéma de fonctionnement n’est pas nouveau chez Ford. Je pense à toutes les méthodes de travail inventées par Henry Ford, oubliées par ses successeurs, reprises par Toyota et aujourd'hui « redécouvertes » et recopiées par Ford. Une bonne partie du TPS doit beaucoup à Henry Ford. Je pense que cela traduit aussi un style de management à l’occidental. Nous sommes toujours à la recherche du «super-héros » qui sauvera l’entreprise, du produit « miracle » qui fera la différence... Et chaque fois on repart de zéro. Les ressources et les énergies sont réorientées en permanence. Au fond, avoir des managers brillants et des super-produits n’a rien de mauvais. C’est le manque de continuité et de vision long terme qui cause problème. Il y a un mot qui me semble illustrer le style de management à la Toyota : « le pilotage automatique ». Toyota est une entreprise qui en l’absence de son pilote continuera à avancer parce que tout est en place, il y a des standards partout qui permettent de remonter les problèmes et le des gens en place qui les résolvent sans attendre des instructions venus d’en haut. Il n’y a pas d’à-coup ou de virage à 180 degrés … D'ailleurs combien de personnes connaissent le nom du PDG de Toyota? Très peu de gens, ce qui n'est pas le cas dunom du PGD de Renault Nissan. La vision long terme et la continuité, voilà deux mots interdépendants qui devrait nous faire réfléchir

Pour revenir à l’annonce initiale qui consiste à renommer une voiture qui se vend mal en Taurus. Je ne pense pas que cela soit le cœur du problème et je ne suis pas sûr que ce nouveau baptême sauvera cette voiture car la Five Hundred actuelle, construite sur une plate-forme Volvo, n’a absolument rien avoir avec la Taurus. En clair, c’est moins une question de nom qu’une question de bon produit.

04 février 2007

Comment Toyota utilise les A3 comme un puissant outil de communication et de résolution de problèmes

Vous avez certainement déjà entendu du A3. A première vue il s’agit d’une feuille dont les dimensions sont 297 mm x 419 mm. Eh bien, cette feuille est le moyen de communication standard chez Toyota. Je voudrais clarifier les choses tout de suite, le « secret » de la puissance de cet outil de communication ne se trouve absolument pas dans la forme du document. Certes, ses dimensions réduites poussent à la synthèse et à aller à l’essentiel. Certes, l’espace réduit d’un A3 pousse l’auteur du document à une certaine rigueur dans la rédaction. Dans l’autre sens d’aucuns pourraient se dire : « c’est sympas un A3, mais il n’est certainement pas possible de tout mettre dans un A3 y compris la communication sur l’avancement d’un projet complexe ». En réalité pour bien comprendre l’intérêt du A3 il faut sortie du débat sur la forme ou les dimensions du document. La puissance du A3 vient du fait qu’il s’agit d’un document standardisé de communication quel que soit le sujet sur lequel porte la communication. Le mot clé ici est « standardisé ». Vous connaissez tous la puissance du standard dans le système de Toyota. Je rappelle que le standard rend le système transparent, les choses sont plus visuelles et visibles ! L’autre point important du A3 est qu’il « impose » un masque méthodologique dans la communication et surtout quand il s’agit de la résolution des problèmes. Ce masque est le PDCA (Plan Do Check and Act/Ajust). Nous sommes tous forts pour faire le « Plan » et le « Do » (on est légèrement moins bon pour la « réalisation » mais on s’en sort en général plutôt bien). Par contre l’expérience a montré que nous étions moins bons quand il s’agissait du « Check » et du « Act /Ajust » qui consistent respectivement à comparer le « réalisé » du « prévu » et ensuite d’ajuster la démarche ou la standardiser. L’intérêt du document A3 est donc de nous « forcer » à ne pas oublier les deux dernières étapes « Check » et « Act/Ajust ». Mieux encore, il s’agit même d’y penser dès le départ. Par exemple avant de lancer un chantier Kaizen penser aux questions suivantes :
• Comment les avancées seront évaluées ?
• Quand les avancées seront évaluées ?
• Comment les résultats seront rapportés?
• Quand les résultats seront rapportés ?

On distingue une multitude de formes de documents A3. Une fois de plus le plus important est d’en avoir quelques uns utilisés de manière standard suivant le type de communication. On en distingue en général 4 types A3 :
- La proposition de démarche. Ce document est utilisé pour proposer une nouvelle stratégie, une nouvelle démarche ou une nouvelle initiative. Ici, la problématique doit être claire, les sujets les propositions énoncées clairement. Il faut éviter de se laisser enfermer dans une démarche analytique. L’objectif ici est d’être capable de « raconter une histoire » simple et « émotive » en s’appuyant sur des faits concrets issus du terrain. La clarté et la fluidité sont des caractéristiques importantes.
- Un rapport d’avancement. Ce document est utilisé pour communiquer sur l’avancement d’une démarche, d’une initiative ou d’un projet. On y rappelle les objectifs, comment les choses se déroulent et les résultats obtenus par rapport au « prévu », le timing par rapport au planning prévisionnel. Quels points doivent être résolus ? Quelles actions doivent êtres lancées pour cela ?
- Une information. Il s’agit de documents de structure variable qui permet de faire un rapport de visite ou de benchmarcking ou toute communication à but purement informatif.
- La résolution d'un problème. Il s’agit du type de A3 le plus connu et le plus structuré. On y distingue clairement les une structure du type PDCA. Une partie « Plan » où le standard et/ou l’état actuel sont rappelés. L’analyse de la situation et l’objectif visé sont précisés (il est fortement conseillé de préférer des graphes ou des courbes au texte) pour illustrer la situation et bien positionner l’objectif. La partie « Do » précise les contremesures à court et long terme et le plan d’actions associé (qui, quoi, où quand). La partie « suivi » comprend à la fois « Check » et « Ajust » et porte sur le suivi des actions, la manière de les rapporter, de les évaluer et d’en tirer un retour d’expérience. Dans le « La résolution d'un problème » le mot "problème" est bien au singulier. La raison est simple, la règle est « un problème - un A3 ». Il faut résoudre qu'un seul problème à la fois sur un A3!

J’ai mis en partage des canevas pour des A3 pour « Une proposition de démarche », «Un rapport d’avancement » et « La résolution d'un problème ». Pour télécharger cers canevas
cliquer ici.