28 mars 2007

La délocalisation n’est peut être pas une fatalité...

In-N- Out Burger, vous connaissez ?
Je ne pense pas trop m’avancer en répondant « non ». Comme son nom l’indique, il s’agit d’un des « fast food » concurrent de Burger King et de McDonald’s qui n’est installé que sur la côte ouest des USA (surtout en Californie). Cette entreprise a quelques principes. Tout d’abord : « la qualité d’abord ». Pour garantir la qualité, ils ne congèlent jamais rien de ce qui rentre dans la fabrication des burgers : ni la viande, ni les patates… D’où le nécessité d’installer tous ses restaurants à une distance raisonnable (driving distance) de leur abattoirs de manière à pouvoir y livrer de la viande fraiche. Les patates, quant à elles, sont découpées « manuellement » sur place. Egalement, pour assurer la qualité, aucune préparation n’est lancée sans qu’il n’y ait eu de commande d’un client. Au fait, n’est-ce pas cela du JIT ?

Comme la fraîcheur des ingrédients ne suffit pas, pour garantir la qualité, In-N-Out Burger fait ce qu’il faut pour avoir les meilleurs salariés et pour cela ils utilisent, comme Toyota, les règles simples développées par Frederick Herzberg. Le respect et la rémunération sont les deux axes sur lesquels In-N-Out Burger s’appuie pour garantir la présence des facteurs hygiéniques et de motivation. Ainsi, s’agissant de la rémunération, le nouvel embauché commence à environ 10$ de heure, soit 3$ de plus que la rémunération pratiquée chez ses concurrents. Une de conséquence de du respect et de la bonne rémunération de ses salariés est le tôt de turnover très, très bas... Les employés restent longtemps dans l’entreprise, même ceux qui commencent à temps partiel pendant leurs études y restent après leurs diplômes comme le montre le témoignage d’un ancien salarié sur la radio publique américaine NPR (cliquer ici pour avoir accès au l’audio).
Au final, malgré toutes ce « contraintes » mises en place pour faire de la qualité et assurer le respect et le développement de ses salariés In-N-Out Burger obtient de très bons résultats. Inutile de vous dire que leurs restaurants ne désemplient jamais et l'on vient de très loin pour y manger un sandwich. Côté chiffres, le chiffre d’affaire d’un restaurant In-N-Out Burger est comparable à celui d’un restaurant McDonald’s, alors même que, contrairement à McDonald’s, ils ne servent pas de petit déjeuner ! Une dernière chose, In-N-Out Burger n'est volontairement pas côté en bourse... Dans l'audio ci-dessus, les propriétaires en donnent la raison.

En voilà un modèle de business qui combine à la fois la qualité du produit, le respect des employés, la réduction des coûts et … L’écologie !
La délocalisation n’est peut être pas une fatalité...

26 mars 2007

L’accord aérien « Ciel ouvert » : un grand pas vers des solutions de transport aérien lean

Le 22 mars, les ministres de transport européens ont donné leur accord pour l’entrée en vigueur le 30 mars 2008 de l’accord aérien « ciel ouvert » qui permet aux compagnies européennes de rallier n'importe quel aéroport aux Etats-Unis et réciproquement. Selon les experts du transport aérien, cette accord qui augmente la possibilité de desserte entre les deux continents entrainera une diminution des tarifs (lien vers l’article du Le Monde.fr).

Cet accord est favorable à une solution lean au besoin des voyageurs tel que je l’ai défini dans l’un de mes précédents posts (L’Airbus A380 : Est-ce un pari sur le transport de masse ?). Dans ce post, j’expliquais pourquoi l’une des caractéristiques d’une solution lean de transport aérien était la suppression d’escale. L’exemple utilisé était celui d’un Lyon - Washington sans escale. Eh bien, l’accord «ciel ouvert » rend désormais cela plus facile à réaliser… Et on est clairement en train de basculer vers une nouvelle ère dans le domaine du transport aérien. Cet accord, comme le disent les experts, est une bonne nouvelle pour les clients, les compagnies aériennes (plus pour Air-France KLM que British Airways) mais est-ce une bonne nouvelle pour l’A80 ? La réponse est clairement « non ». La raison se trouve dans mon post L’Airbus A380 : Est-ce un pari sur le transport de masse ? En effet la conséquence directe de cet accord sera la réduction des vols de Hub vers Hub (point fort de l’A380). En voila encore un coup dur pour l’A380 qui n’en avait pas vraiment besoin….

17 mars 2007

L’Homme au centre du TPS chez Toyota

Dans mes précédents posts j’ai souligné à plusieurs reprises l’importance de l’Homme dans le TPS. Quand j’observe le déploiement du lean ici et là, je ne suis pas convaincu que la place centrale de l’Homme soit prise en compte. Je voudrais tout simplement rappeler que le « respect et le développement des hommes basée sur la confiance mutuelle et la coopération » fait parti des quatre objectifs de Toyota. Cet objectif vient directement en deuxième position après celui lié à la qualité.

Le conseil le plus fréquent : « surtout ne passez pas plus de 3 ans au même poste sinon vous êtes grillé »
La plupart des grandes entreprises occidentales recrutent les meilleurs diplômés des meilleurs écoles (universités) et supposent que ces nouvelles recrues ont les compétences qu’il faut pour prendre des responsabilités et traiter des dossiers tout de suite. On les met donc en situation de responsabilité très rapidement. Ils doivent faire leurs preuves et survivre dans « l’autocuiseur » ; c'est-à-dire un environnement professionnel dont le niveau de pression est très élevé. Les ingénieurs sont quelquefois coachés en termes de carrière et le conseil que l’on leur donne est « surtout ne passez pas plus de 3 ans au même poste sinon vous êtes grillé » -le coaching technique est quasiment inexistant. Suivant ce conseil, le jeune ingénieur qui veut faire carrière « voltigera » de postes en postes tout en essayant de faire le maximum de choses possibles car avoir un profil très pointu ou technique n’est pas souhaité et c'est la voie assurée vers un placard. Il faut être le plus généraliste possible. Les entreprises encouragent d’ailleurs leurs ingénieurs à avoir une double (multiple) compétence et par exemple de faire un MBA. L’un des symptômes témoignant de cette tendance est la convergence de la formation des ingénieurs dans les grandes écoles vers des profils généralistes quel que soit le type d’école.

Chez Toyota, la technique est reine…
Chez Toyota, la voie royale n’est pas le MBA, la technique est très recherchée. Les véritables stars sont ceux qui ont réalisé des prouesses techniques. Comme les grandes entreprises occidentales, Toyota recrute les meilleurs diplômés de meilleures universités. Le processus ets très sélectif : 1,1% des candidats. Les critères de sélection ne sont bien sûr pas les mêmes. Là s’arrête le point commun car après l’embauche, le jeune ingénieur suit un cursus semblable à un « T » renversé : très généraliste au début et pendant très peu de temps et ensuite il est orienté vers un métier où il suivra un parcours standard qui ne doit rein au hasard. L’embauche se fait par « promo » et de manière centralisée. Les quelques centaines d’ingénieurs recrutés passeront environ 4 mois chez un concessionnaire (avec un volet vente de porte en porte des voitures) et 3 à 4 mois sur une ligne de fabrication. Il faut rappeler que Toyota se définit d’abord comme un fabricant de voitures. D’où l’importance, pour eux, que tous les ingénieurs comprennent bien ce que signifie fabriquer une voiture. Ces voitures doivent ensuite être vendues d’où l’importance du sens du client.

Comme d’habitude le standard et le « Genchi Genbutsu »
Ici, rien ne se fait au hasard, une fois de plus on fait les choses suivant un standard. Cela permet de se débarrasser de la variabilité dans le système et de savoir à tout moment qui sait faire quoi, de manière à pouvoir confier la bonne tâche à la bonne personne au bon moment (conformément à l’esprit du JIT). A la fin de la période de formation généraliste, l’ingénieur est orienté vers le métier qu’il aura choisi (avec l’aide de ses gestionnaires et mentors). Par exemple, s’il est orienté vers la conception produit ou process il débutera par un « freshman project » de 9 mois qui lui permettra d’utiliser des outils techniques de base, les méthodes du TPS et interagir avec les autres. La mission portera sur l’amélioration d’un produit ou d’un process. Le point important ici n’est pas le résultat mais le respect du standard de travail. Après ce projet vient l’étape du OJT (on job training) où le jeune ingénieur est encadré par un mentor (senior engineer) pendant 2 ans à 2/3 de son temps pour obtenir le first level engineering rank pour le reste, 1/3 de son temps, il travaille sur DAO (dessin assisté par ordinateur). Pour info, chez Toyota tous les ingénieurs qui s’occupent du produit font leur propre travail de DAO. Pendant les 6 années suivantes, l’ingénieur se consacrera à la conception des pièces de la même partie du véhicule. Au final, pendant près de 8 ans, l’ingénieur fera l’objet de 3 à 4 évaluations par an. Des techniques bien structurées. Cela permettra de suivre son évolution et de valider qu’il « connaît bien ses gammes ». Il faut signaler que l’une des missions les plus importantes d’un manager est le développement de ses collaborateurs : bon manager = bon enseignant. Cela est d’autant plus facile qu’il doit savoir mieux faire le travail du collaborateur que le collaborateur lui-même –il a dû d’abord occuper le poste de son collaborateur dans son parcours. On ne peut pas être le chef de quelqu'un si on ne sait pas faire son job. De fait, le chef (et mentor) n’est pas arrivé à ce poste par hasard. Il s’agit véritablement d’une démarche du type « apprentissage ».
Finalement, ce n’est qu’après 10 à 12 ans d’expérience, que l’ingénieur est promu au premier niveau de management. En clair, chez Toyota vous ne trouverez pas des trentenaires ou des quadragénaires au niveau de directeur ou dans l’état major, comme dans les entreprises occidentales. Ils prennent le temps de former et de développer les hommes…
L’un des points importants dans le développement de l’ingénieur sera le « Genchi Genbutsu ». Comme vous le savez, il s’agit d’aller voir la véritable situation (pièce) pour bien comprendre la réalité actuelle. Comme le disait Kiichiro Toyoda, « on ne peut jamais faire confiance à un ingénieur qui ne se lave pas les mains avant de manger »...

03 mars 2007

Qu’est-ce qui fait le plus peur à Toyota ?

Sur ce blog comme dans beaucoup de livre qui sont publiés sur Toyota, vous avez beaucoup lu sur les forces de Toyota. Comme vous, peut-être, je me suis quelquefois posé les questions suivantes « Quel est le point faible de Toyota ? Est-ce que ce point faible l’arrêtera un jour dans cette croissance continue ? ».

S’agissant de la première question, un article paru la semaine dernière sur
BussinessWeek Online (cliquer pour avoir lire l'article), nous confirme quelques éléments que certains experts signalent depuis quelques années déjà. Une interview de Katsuaki Watanabe donne un éclairage sur l’état actuel de Toyota. « Qui est Katsuaki Watanabe ? » me diriez-vous. Eh bien, ce monsieur est le PDG de Toyota. Certes il ne bénéficie pas du même niveau de médiatisation que celui des grandes stars du secteur, telles que Carlos Gohsn de Renault - Nissan et Rick Wagoner de GM, mais c’est bien l’homme qui est à la tête de la plus puissante machine industrielle au monde. Comme le précédent PDG Fujio Cho, qu’il a remplacé en 2005, il donne très peu d’interviews et est très rare dans les média (contrairement aux PDG des grandes entreprises occidentales). L’humilité, la discrétion…Voilà des valeurs fondamentales chez Toyota, qui lui ont permis de conquérir le monde et plus précisément les US. Comme vous le savez, Toyota passera devant GM en 2007 et deviendra le N° 1 mondial. Et cela va les rendre de plus en plus visibles. Surtout aux yeux des citoyens américains. Aujourd’hui la stratégie de communication de Toyota aux US (et en Europe, également) a toujours été de se fondre dans l’environnement en multipliant les actions citoyennes. Ils mettent également un point d’honneur à produire au plus près des clients tout en insistant sur les emplois qu’ils créent dans leurs usines pour la main d’œuvre locale. Cela se voit très bien dans leurs pubs et leur communication. Ainsi, Toyota a crée plus de 38000 emplois aux USA où ils fabriquent plus de 65% des véhicules qui y sont vendus. Alors pour les américains qu’est-ce que cela change ? En réalité, l’arrivée des constructeurs asiatiques aux US n’a rien changé au global. Le nombre d’emplois dans le secteur de l’automobile est resté quasiment constant à 1,1 millions. Les emplois perdus dans la région de Detroit sont remplacés par d’autres créés par les nouveaux arrivants étrangers (les constructeurs asiatiques, en majorité) dans le sud des US (là où la le puissant syndicat UAW est quasiment absent). La seule différence est que les bénéfices vont dans la poche des « étrangers ». Mais comme le fait remarquer cyniquement un lecteur de BussinessWeek Online, qu’est-ce qui est préférable : de garder les pertes aux US (allusions aux pertes abyssales des big 3) ou que les bénéfices aillent au Japon ?

Le grand succès de Toyota ne risque pas seulement de le transformer en bouc émissaire aux yeux de l’américain moyen, cela fait environ trois ans que Toyota souffre déjà de sa forte croissance. Les ressources ne suivent pas toujours et Toyota n’est plus toujours capable de faire les choses au rythme habituel. Par exemple l’un des points forts de Toyota, qui est le TPS, est sensé être transmis suivant un « rituel » où le Sensei (maître en japonais) coache patiemment sont « étudiant » et lui inculque, étapes par étapes, l’ADN du TPS. Avec la croissance actuelle, cette initiation lente ne peut plus se faire. Les ressources sont sollicitées au maximum… Il rationnaliser et pour ce faire on essaie de faire les choses différemment. Le même phénomène est également observable dans d’autres domaines. Conséquence de tout cela, les résultats en termes de qualité et de productivité stagnent ou se dégradent légèrement. Preuve, les usines de Toyota ne trustent plus la tête des classements de l’enquête IQS de JD Power et du Harbour Report. Pire encore, l’année dernière, Toyota a battu le record de rappel de voiture. Dans l’interview mentionnée ci-dessus, le PDG de Toyota mentionne que pour atténuer ces problèmes ils ont revu le temps de développement de certaines de leurs voitures et ont rajouté 6 à 3 mois.
Un autre point, et non le moindre, contre lequel doit se battre également le PDG de Toyota est la complaisance qui gagnent les entreprises qui ont du succès.


Le principal ennemi de Toyota actuellement me semble bien être son succès. L’histoire du business est truffée de banqueroutes d’entreprises qui n’ont pas pu maîtriser leur croissance. Est-ce que ce sera le cas de Toyota ?