L’Airbus A380 a été au centre de l’actualité ces dernières semaines. Il a surtout été question du retard de livraison de ce super-jumbo d’une capacité maximale de 800 personnes.
Quel est le lien entre l’Airbus A 380 et le Lean ?
Retard de livraison
Le premier lien vient de l’implantation des usines d’Airbus. Les usines sont éparpillées dans le monde (certes, majoritairement concentrées en Europe). Chaque usine fabrique une partie de l’avion et tous ces morceaux d’avion sont transférés à Toulouse où le produit final est assemblé. C’est l’exemple parfait d’une organisation destinée à la production de masse. Comme toutes les organisations destinées à la production de masse, la philosophie de base est « l’économie d’échelle » qui pousse les industriels à se focaliser sur le taux d’utilisation des ressources (moyens de production, expertise, …) plutôt que sur le process ou le flux d’assemblage. Cela se traduit concrètement par l’organisation des moyens de production et des ressources par spécialité ; ce qui conduit à la création des usines spécialisées. Le talon d’Achille ici est la supply chain (la chaine logistique). Comment faire pour assurer la livraison en JIT (JIT = juste à temps) de plusieurs constituants qui viennent de partout, à travers le monde ?
Comme vous le devinez, la meilleure organisation devrait être orientée process. Si l’on fait rapidement un Value Stream Mapping (il s’agit de suivre les flux de matière et d’information de toutes les étapes de l’assemblage du produit), on se rend compte qu’il vaudrait mieux organiser les usines par produit (et non par constituant). L’idéal étant de concentrer tout l’outil de production au même endroit. La production d’un super-jumbo de 800 places est un énorme défit, sans précédent. Son maillon faible qui est la supply chain est plus que jamais sollicité vu l’ampleur du challenge. Est-ce ce maillon tiendra ?
Que demande le client ?
Un autre lien entre l’A380 et le lean se retrouve dans le dernier livre des compères Jim Womack et Dan Jones : Lean Solutions. Ce livre décrit très bien le sentiment que j’ai eu à l’annonce du projet de l’Airbus A 380. Cet avion de 800 places est surtout destiné au transport de hub à hub, entre grandes villes.
Pour illustrer les choses, supposons que vous habitez Lyon et que vous souhaitez rendre visite à un de vos amis à Washington. Vu les tailles des villes de départ et d’arrivée, il semble difficile de penser qu’il puisse être possible de trouver 800 personnes à Lyon qui vont à Washington chaque jour. Je n’ai pas fait d’étude sur le marché Lyonnais de voyage vers Washington, mais il semble qu’il faudrait tabler plutôt sur des fréquences de quelques semaines voire quelques mois. En d’autres termes, si les clients sont prêts à attendre un certains temps, (un, deux, trois mois), l’affréteur du A380 pourra trouver 800 personnes et rentabiliser son affaire. Les clients n’attendront aussi longtemps que s’ils ont une contrepartie. Par exemple, si les tarifs (bas) le justifient. Ce type de voyages porte un nom : cela s’appelle des charters. Il ne me semble pas que Airbus ait décidé de lancer un avion aussi couteux (il faudrait en vendre au moins 300 pour que cela soit rentable) pour cibler les compagnies de charters… En conclusion, l’Airbus A380 n’est pas le bon avion pour un Lyon – Washington en vol régulier. En réalité, les seuls axes pouvant êtres desservies sont ceux qui relient de très grandes villes. Reprenons donc notre exemple initial où en étant à Lyon vous voulez rendre visite à votre ami à Washington. Pour vous y rendre en A380 il faudrait prendre un avion de taille moins importante (ou un TGV) jusqu’à Paris. Arrivé à Paris, vous pourrez alors voler en A380 de Paris à New York. A votre arrivée à New York, vous devriez probablement prendre un troisième avion pour Washington (ou un train Amtrak qui parcours New York – Washington, DC en 4 heures, je l’ai testé). Toutes ces escales vont augmenter considérablement votre temps de voyage de plusieurs heures par rapport à un vol direct Lyon – Washington. Est-ce cela que recherche le client ? J’en doute…
Exactement ce que je veux, quand je veux et où je veux
Revenons au livre de livre de Womack et Jones. Les auteurs partent d’un constat : aujourd’hui de plus en plus d’entreprises adoptent le lean manufacturing et la plupart ont fait de réels progrès en réduisant substantiellement les gaspillages dans leur flux de production. En revanche, on constate qu’il y a beaucoup gaspillages dans la phase consommation comme le montre notre exemple sur du trajet Lyon – Washington. Les auteurs pensent que le consommateur et le fournisseur gagneraient, tous les deux, à appliquer les principes du lean à la consommation de manière à supprimer ces gaspillages. Comme point de départ, Lean Solutions définit les attentes du consommateur en 6 points.
En tant que consommateur qu’est-ce que j’attends du fournisseur du service ou du produit?
Je veux :
- que mon problème soit résolu complètement
- qu’il ne me perde pas mon temps
- qu’il me donne exactement ce que je veux, quand je veux et où je veux (cette phrase comporte 3 points)
- qu’il me simplifie ma décision d’achat
C’est dans cette matrice à six points que fournisseur doit construire son offre.
A380 : fleuron ou boulet ?
En réalité, le problème avec l’A380 c’est qu’il correspond à un transport de masse qui à l’instar de la production de masse génère des stocks (attentes des clients aux différents points d’enregistrement et d’escale). Cette solution ne respecte manifestement pas le 2ème principe, défini ci-dessus (comme nous l’avons vu précédemment, le client perd beaucoup de temps). Le 4ème principe n’est pas respecté non plus. En effet, le «quand je veux » implique des vols fréquents ; or un avion de 800 personnes ne peut pas être aussi fréquent qu’un avion classique de 100 à 200 places. Le 5ème principe n’est pas satisfait non plus. De fait, je ne peux pas prendre l’A380 de Lyon à Washington. Bref, l’Airbus n’est clairement pas le meilleur moyen de fournir un service de transport lean. Il s’agit d’un moyen de transport de masse dont la philosophie de base, comme dans le cas de la production de masse, est l’économie d’échelle. Paradoxalement, la réalité est toute autre car très souvent les attentes de l’avion au sol finissent par augmenter fortement le coût d’exploitation par place.
L’Airbus A380 est manifestement un avion qui va à contre-courant de la tendance actuelle dans l’industrie. C'est-à-dire la recherche des solutions lean pour le bien des clients et des fournisseurs de services ou de produits. Sera-t-il le fleuron d’airbus tel que l’on nous l’a promis ou le boulet qui lestera cette belle aventure européen qu’est EADS ? L’avenir nous le dira.
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