19 septembre 2006

Tout doit être visible afin qu’aucun problème ne soit caché

Une fois n'est pas coutume, je vais commencer ce message par l'exercice décrit dans le dessin ci-dessous (origine : Art Smalley) .

Alors, quel temps avez-vous mis dans les deux cas ? Quel est la différence entre ces deux temps?

Un des principes du « Toyota Way »

Un des quatorze principes de management du « Toyota Way » est la recherche effrénée de la visibilité, partout : de l’atelier jusque dans les bureaux. Le principe est simple et s’appuie sur l’un des mantras de E. Deming : « ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas ». Ma parodie préférée de cette citation est : « ce qui se mesure s’améliore… ». En effet, tout simplement, le fait de suivre un indicateur le fait baisser quasi-mécaniquement d’entrée de jeu. Pour Deming et bien d’autres gourous de l’amélioration, la première étape de l’amélioration d’un process est la mesure et il n’y a pas de moyen plus performant de mesure que l’œil !

Le test d’acide…


Pourquoi Toyota recherche la « visibilité » ? La réponse est la même que dans mes précédents messages : faire émerger les problèmes afin de les résoudre. De plus, un process visible est plus facile à piloter ; les décisions sont prises non pas sur la base d’impressions ou de sentiments mais d’informations concrètes et visibles.

Le test d’acide de la visibilité est donné par Tahichi Ohno. Si vous n’êtes pas capable « en regardant de voir et dire s’il y a un problème » alors votre process, n’est pas « visible ». Cela implique un flux simple, facilement compréhensible et organisé dans le sens du process. C’est certainement la partie la plus difficile à réaliser mais aussi celle qui donne le plus de résultats.

Une fois que l’on a travaillé sur l’implantation du process physique, les andons sur lequels sont affichés les indicateurs de performance clés peuvent alors être utilisés faire émerger les problèmes et piloter le process.


Et le 5 S ?

Si vous posez la question suivante autour de vous : « Qu’est-ce que le 5S ? ». Les personnes les plus informées vous énuméreront les 5 étapes suivantes du 5S :

1. SEIRI = Séparer les objets nécessaires du non nécessaire

2. SEITON = Organiser en mettant chaque objet dans sa position optimale dans l'espace de travail

3. SEISO = Nettoyer en profondeur les outils / équipements de travail ainsi que l'environnement

4. SEIKETSU = Standardiser les procédures de travail, les checklistes de manière à maintenir l'espace de travail propre et bien organisé

5. SHITSHUKE = Discipline dans l'application des étapes suivantes afin de maintenir un espace de travail propre et ordonné

Peu de gens n’ont jamais entendu parlé du 5S, beaucoup pensent appliquer le 5S… Nombre d’entreprises communiquent sur leur démarche 5S. Simplement, très peu de personnes sont capables de vous expliquer pourquoi on fait le 5S (même si elles sont capables d’en citer les étapes). Le « drame » du 5S est qu’il a été tellement « popularisé » qu’il a perdu tout son sens. Résultat des course, cet outil, qui est sensé augmenter le moral et améliorer le travail de employés de Toyota, est plutôt toléré, voire considéré comme un mal nécessaire ici...
Le 5S est un de outil performant utilisé par Toyota pour rendre atteindre et maintenir la « visibilité ». Il mérité largement d’être revisité et ré expliqué (en insistant sur le pourquoi et non le comment) afin de tirer le maximum de son efficacité.

Au lieu de faire du texte, et vous ré expliquer une nième fois le 5S, je vous propose ci-dessous un deuxième dessin qui permet d’illustrer l’efficacité du 5S. Ce dessin comme le premier est inspiré de documents d'Art Smalley, l’un des meilleurs experts du lean.




10 septembre 2006

Une leçon du « 5 pourquoi » dans l’usine de NUMMI

Un escalator en panne chez Toyota

L’usine de NUMMI (NUMMI = New United Motor Manufacturing, Inc.) est une joint venture Toyota – GM située dans la ville de Fremont en Californie aux US. Cette usine produit des voitures pour les duex constructeurs depuis 1984. Il s’agit de la première usine exploitée par Toyota aux US. L’un des intérêts de NUMMI est qu’elle a été créée dans une ancienne usine qui appartenait à GM et qui n’était d’ailleurs pas parmi les plus performantes en son temps. La main d’œuvre originelle de NUMMI était également largement constituée d’anciens employés de GM. Cette usine est donc une preuve incontestable du fait qu’il est possible de faire du TPS en partant des moyens de production et des hommes issus de la production de masse. La greffe est possible, quel que soit l’état initial de l’entreprise ; il n’y a pas besoins d’employés japonais ! Ce site a longtemps hébergé le centre de formation où GM envoyait ses salariés pour être formés aux méthodes du TPS. GM y a également muté quelques uns de ses managers. Ces hommes sont aujourd’hui les piliers du système de production de GM (GMS = Global Manufacturing System) et des actions concrètes dans les usines du constructeur américain. Pas étonnant que GM soit celui des « big three » qui maîtrise le mieux le TPS !

Dans mes prochains messages je reviendrai sur cette usine que j’ai eu l’occasion de visiter et qui me semble être un laboratoire très intéressant pour tous ceux qui voudraient mettre en pratique le lean.

La première histoire que je vais raconter sur l’usine de NUMMI vient de Mark Graben, un ancien élève du MIT avec qui j’ai échangé pendant mon séjour aux US. Il raconte que lors de sa visite de NUMMI il est passé devant un escalator bloqué. Au dessus de cet escalator il y avait l’affiche suivante :


"Sorry for inoperative escalator.
It would cost$120k to repair.
We feel money could be better
spent on other things.
Please accept our apologies."

Il faut préciser que l’escalator n’était pas le seul moyen de rejoindre l’étage supérieur. Il y avait également des escaliers et un ascenseur.

Quelle n’a pas été sa surprise de constater qu’en plein sanctuaire de la TPM on pouvait laisser un escalator en panne sans s’empresser de le réparer !

Il s’agit là d’un exemple frappant du résultat de l’utilisation du « 5 pourquoi ». Le « 5 pourquoi » consiste à ne pas agir sans chercher la cause première des choses. Il faut poser la question « pourquoi ? » 5 fois pour être certain que l’on ne se contente pas dans « l’apparent ». Dans le cas de l’escalator les personnes chargées de l’entretien de l’escalator on dû se demander pourquoi réparer un ascenseur qui ne sert à rien car il y avait d’autres moyens d’accéder à l’étage supérieur (escaliers et ascenseur) ? Comme le dit l’affiche : pourquoi ne pas mettre cet argent ailleurs ? Ce réflexe du « pourquoi » nous manque si souvent dans tout ce que l’on fait au quotidien. Le « 5 pourquoi » est un des outils les plus performants du TPS. Il encourage les employés à se poser la question sur « le pourquoi » de ce que l’on entreprend. Certes, sur la cause profonde, quand il s’agit d’une panne mais aussi sur la finalité des actions engagées. Ne pas faire les choses parce cela a toujours été fait ainsi mais se demander pourquoi au préalable. Comme vous le savez l’une des caractéristiques du TPS est de faire émerger les problèmes et les résoudre. La résolution des ces problèmes permet aux employés de progresser. Chez Toyota on pense que les meilleures solutions sont celles qui sont le résultat du « 5 pourquoi ».

Ce n’est pas « la vérité révélée » …N’oubliez pas le client

Il n’est pas inhabituel que des chantiers Kaizen ou de mise en place des outils de lean soient lancés sans se demander pourquoi on le fait et ce que cela rapporte. Il ne faut pas perdre de vue que le but de tout cela est de satisfaire à la demande du client. Par conséquent, la question doit toujours être : comment en faisant ce que je fais je réduis les coûts tout en réponds mieux à la demande du client ? De nombreux consultants et managers on tendance à considérer le lean comme étant la « vérité révélée » et n’hésitent pas à se lancer dans un déploiement directif sans accepter la moindre interrogation sur le bien-fondé de outils déployés. Combien de fois a-t-on vu des gens faire du Heijunka, du SMED ou imposer le passage au petits colis alors que cela ne s’imposait pas ? Mêmes les plus grands se font avoir. J’ai encore en mémoire une newsletter de Jim Womack (l’un des inventeurs du lean) qui faisait son mea culpa pour s’être entêter à appliquer certains outils de lean dans des conditions inadéquates. Avec son associé de toujours, Dan Jones, ils avaient racheté une entreprise de fabrication de bicyclette déclinante pour pouvoir appliquer le lean. Jim Womack raconte comment il s’est entêté à lisser la production (Heijunka) à tout prix. Il a tout fait pour que la séquence des pièces produites soit du type « ABABCBAB » alors que les bicyclettes produites étaient livrées une fois par jour. Si les bicyclettes étaient livrées une fois par jour, faire « ABABCBAB » ou « AAABBBBC » ne devrait avoir aucun effet au niveau du client. Pourquoi donc avoir lancer un lourd chantier Kaizen et/ou SMED pour produire à la séquence « ABABCBAB » ? Parce que le lean demande de lisser la production (Heijunka). Dans la même série, Il raconte également l’histoire d’une entreprise qui avait lancé un important chantier de Kaizen pour réduire le temps de changement d’outil de 8 heures à 5 minutes. Le seul problème c’est qu’il n’était pas prévu de fabriquer plus d’un type de produit sur cette machine (c'est-à-dire aucun besoin de changer d’outil). Résultat des courses : de l’énergie et du temps perdus uniquement par « dogmatisme » en vers le lean !

Il n’y a pas que des consultants hyper zélés qui poussent à l’application « aveugle » des outils du lean. En effet, il n’est pas rare que des chantiers lean soient lancés dans les entreprises tout simplement parce que le « chef » l’a demandé. Des managers précédemment hostiles se sont transformés du jour au lendemain en disciples du lean tout simplement par injonction du « chef ». Ce ne sont pas les meilleures conditions d’application du lean. Toyota se considère comme une organisation dont la force vient du savoir-faire des ses hommes. Et dans ce sens, répondre à la question du « pourquoi » est aussi important que la mise en place des outils elle-même. Si vous faites quelque chose aujourd’hui sans savoir pourquoi ; qu’est-ce qui vous fait penser que demain vous ne ferez pas exactement le contraire ? Cela nous conduit à l’importance du leadership dans la mise ne place du lean. Mais cela est un autre sujet qui sera abordé ultérieurement.

Pourquoi, pourquoi, pourquoi, pourquoi, pourquoi … 5 fois voire plus si nécessaire. Facile à dire mais pas à faire.

05 septembre 2006

La structure de la “ maison” TPS

La philosophie autour de laquelle est construit le système de fabrication de Toyota est la culture de l’amélioration continue. Le principe est de définir des standards permettant à tous les employés, sans exception, d’éliminer tous les gaspillages. Le but recherché est de réduire au minimum le temps entre la commande d’un produit et sa livraison. Le produit livré doit être irréprochable en terme de qualité et être fabriqué au moindre coût. Le TPS repose sur deux piliers : le Juste à Temps et le Jidoka.




Le Juste à Temps
Ce pilier, le plus connu du TPS, a pour finalité de livrer la bonne pièce, en bonne quantité au bon moment tout en utilisant le minimum de ressources. Contrairement à ce qui se passe dans la production de masse, il n’est absolument pas question de fournir la pièce plus tôt que prévu ou de produire plus de pièces que nécessaire. Cela implique la suppression des stocks qui ont, en outre, l’inconvénient de masquer les problèmes qui perturbent le flux. Il est important de préciser à ce niveau que la motivation première de la « suppression » des stocks n’est pas financière mais bel et bien la volonté d’exposer les problèmes. Bien sûr cela suppose que l’on ait la capacité (hommes, méthodes et organisation) pour résoudre les problèmes qui émergent sinon c’est la catastrophe assurée ! « Rendre les problèmes visibles » est une notion fondamentale chez Toyota qui tient à ce que tout soit soit visible, même les problèmes. Il s’agit ici de détecter les causes d’instabilité et de les résoudre. Comme le montre le dessin de la « maison du TPS », la stabilité est le socle du TPS. Il est en effet très tentant de se lancer dans les le déploiement du Juste à Temps sans s’assurer au préalable (ou en parallèle) que les problèmes qui perturbent le flux sont résolus. La perturbation du flux peut être due aux machines (ex : pannes) au hommes (ex : formation) à la matière (ex : disponibilité des pièces), aux méthodes de travail (ex : le PDCA). La résolution de ces problèmes est un pré requis au succès du juste à temps.
La mise en place du juste à temps peut être perçue comme un « renoncement » à produire quand on en a la possibilité. Le bon sens ne préconise-t-il pas que « ce qui est produit ne sera plus à produire ? ». Dès lors il est possible qu’un déficit de compréhension du TPS amène à associer au déploiement du JIT la création de surcapacité dans l’outil de production afin de compenser ce « renoncement » à produire. Ce type de réflexe est et contreproductif.
Le flux continu, le flux tiré via le Kanban et le takt time sont les outils les plus importants du JIT. La production est tirée par la demande du client est propagée via les kanbans. Cette demande du client est exprimée au travers du takt time (le temps entre deux pièces consécutives permettant de satisfaire la demande du client).

Le Jidoka
C’est l’autre levier du TPS. Il est aussi appelé Automonation. Ce mot est la contraction de deux mots anglais autonomous (autonomie) et automation (automatisation). Le Jidoka a deux composantes : (1) la qualité à 100% à chaque étape du process, (2) la séparation de l’homme et de la machine. Ces deux composantes supposent, à l’instar des machines à tisser de Sakichi Toyoda, le fondateur de Toyota, que les machines puissent être capables de s’arrêter avant la survenance de tout problème. D’où l’idée d’une automatisation « intelligente », « humaine » ou autonome. Cette automatisation « intelligente » permet à la machine de prendre la décision de s’arrêter automatiquement de manière à éviter la production de pièces de mauvaise qualité ainsi que la propagation de défauts en aval. En plus de la qualité, ce système permet également d’éviter des accidents (blessure de personnes et dommages importants des machines). Cette notion, comme le JIT, va à l’encore des réflexes généralement admis dans la production de masse. En effet, tout arrêter au premier moindre problème peut sembler tomber sous le sens. Une fois de plus, comme dans le cas du JIT, il s’agit de rendre tout problème visible voire insupportable de manière à ne pas avoir d’autre choix que de s’y attaquer réellement (recherche de causes profondes) et au plus tôt. Une fois encore, comme dans le cas du JIT, le fabricant doit être capable de résoudre efficacement les problèmes ainsi exposés sinon c’est la catastrophe. Cette capacité à résoudre les problèmes se mesure surtout en terme d’hommes (formation, motivation, organisation) et qu’en terme d’équipement. Par exemple, la mise en place d’une surcapacité prévisionnelle pour absorber les arrêts immédiats de lignes alors qu’auparavant l’on continuait à produire n’est pas de nature à rendre la récurrence des problèmes « insupportable ». Cela peut être contre productif dans le déploiement du Jidoka.
La deuxième composante du Jidoka qui est la séparation de l’homme et de la machine n’est possible que si la machine est autonome. La conséquence immédiate est un gain des ressources, celles qui ne sont plus désormais affectées à la supervision du des machines. Chez Toyota, on pense que l’homme mérite mieux que d’être placé devant une machine à la regarder fonctionner.

Amélioration continue et suppression de toutes les causes de variabilité
Comme la stabilité du process, le lissage de la production (Heijunka) est un pré requis du TPS. En lissant la production on supprime les variabilités et optimise, du même coup, les ressources. Cela contribue au flux continu. Le Kaizen (en japonais : Kai = changement, Zen = bien) ou amélioration continue et le travail standard sont les « deux facettes de la même pièce » : on améliore on fige… on améliore on fige… ainsi de suite. C’est clairement la philosophie de E. Deming (créateur de la roue du même nom).